samedi 14 juillet 2018

Un Dieu Unique et plusieurs religions : Comment expliquez-vous cela ?


Nous avons vu précédemment Comment un être doté de raison peut-il encore croire en Dieu à notre époque et que ce réflexe était loin d’être contraire à la raison humaine ; que certaines Questions cruciales comme « quel est le sens de la vie ? » et « qu’y a-t-il après la mort ? » restaient sans réponse, aussi bien pour les scientifiques que pour les philosophes - ceux qui sont honnêtes parmi eux - car elles relèvent d’un domaine que l’homme n’est pas en mesure d’expérimenter. Concrètement, Seul Celui qui a créé l’homme connait l’objectif de sa création et comment celui-ci doit gérer son existence afin d’être agréé par Lui. Tout comme Lui Seul connait l’issue de la vie ainsi que ce qui se passe après la mort. Ces informations, qui resteraient inaccessibles sans Son intervention, Il a choisi des hommes afin qu’elles soient transmises à l’humanité. Les hommes chargés de cette responsabilité sont ceux que les différentes religions nomment Prophètes et Messagers.[1]

Si un homme venait te voir aujourd’hui en prétendant être envoyé par Dieu pour guider l’humanité, le plus élémentaire de tes droits serait de lui demander une preuve de ce qu’il avance. S’il te donnait une preuve convaincante, son droit serait alors que tu le considères comme tel et que tu le suives vers ce à quoi il t’appelle. Bien évidemment, pour pouvoir te convaincre, il faudrait que cet homme soit en mesure d’accomplir une chose impossible à faire pour ses semblables. Cette action hors du commun qui lui est permise de faire et qui prouve la véracité de ce qu’il prétend être, c’est ce qu’on appelle un miracle.

Ainsi, et pour ne parler que des plus connus des Prophètes et Messagers, lorsque Abraham - sur lui la bénédiction et la paix - fut jeté dans le feu par son peuple pour l’avoir invité à délaisser les idoles et à n’adorer qu’Un Seul et Unique Dieu, le feu ne lui fit aucun mal et il en sortit indemne. Cet événement, défiant toutes les lois de la physique, fut considéré comme un miracle ainsi qu’une preuve sans appel. De même, lorsque Moïse - sur lui la bénédiction et la paix - a été envoyé à son peuple, il lui a été demandé d’apporter les preuves de sa prophétie. A son époque, les gens étaient subjugués par la magie et les magiciens. Il lui fut donc accordé des miracles qui révélèrent l’impuissance des plus habiles des magiciens de son temps, alors qu’il n’en faisait pas partie, et eux-mêmes reconnurent que seul un envoyé de Dieu était capable de ce qu’il avait accompli devant leurs yeux. C’est ce qu’on appelle un miracle. Et les preuves furent décisives.

Lorsque Jésus fils de Marie - sur lui la bénédiction et la paix - fut envoyé aux enfants d’Israël, il soigna les lépreux, chose impossible pour les plus compétents des médecins de son époque. Il fut aussi en mesure d’informer les gens au sujet de leurs affaires personnelles entreposées chez-eux et dont personne n’avait connaissance à part les intéressés. Par-dessus tout, il redonna la vie à certains morts, par la permission de Celui qui l’avait envoyé [2]. Et tous les événements cités précédemment sont bien connus des croyants des religions qu’ils concernent.

Pour résumer, depuis que l’homme peuple la terre, des guides lui ont été envoyés. Leur message informait ceux à qui il était destiné du sens de leur présence sur terre, de ce qu’ils avaient à y accomplir et comment ils devaient s’y prendre afin d’obtenir l’agrément de leur Créateur. Selon l’époque, le lieu et l’avancée de la civilisation des destinataires, ce message se faisait de plus en plus précis du point de vue des lois qu’il contenait. Cependant, il restait identique concernant le fait qu’ils devaient adorer leur Créateur – un Dieu Unique – sans jamais rien Lui associer, de quelque manière que ce soit. Ainsi, certains peuples eurent plusieurs Prophètes et Messagers, d’autres un seul. Mais, quoi qu’il en soit, tous eurent accès d’une manière ou d’une autre à la guidée divine.  Ensuite, lorsque l’humanité fut assez mature pour recevoir un message complet, englobant tous les aspects de sa vie, le dernier des guides lui fut envoyé. Parmi les caractéristiques de ce Prophète, le fait qu’il fut envoyé à l’humanité toute entière et, afin que son message soit en mesure de traverser les époques, qu’il fut doté d’un miracle particulier dont nous reparlerons ultérieurement.

A ce stade de la discussion, une personne sensée est en droit de nous réfuter en disant : « Désolé, ton discours ne tient pas la route ! Tu utilises dans ton argumentation des histoires auxquelles je ne crois pas. Or, si j’y croyais, j’adopterais l’une des religions prêchées par ceux dont tu viens d’énoncer l’histoire ».

Cette remarque pertinente apporte d’elle-même des éléments de réponse supplémentaires à la question initiale qui nous a été posée. En effet, rien n’oblige une personne sensée à croire en un miracle qu’elle n’a pas vu. Et, hormis le cas où l’information lui serait transmise par une personne qu’elle estime définitivement digne de confiance, elle est en droit de la refuser.

Ici apparaît la limite de la portée de ce que nous avons précédemment appelé un miracle. En effet, admettons qu’un homme prétendant être envoyé par Dieu pour guider l’humanité t’apporte une preuve convaincante de ce qu’il avance, tu croiras en lui et accepteras de vivre selon ses préceptes. Et il en sera de même pour toutes les personnes honnêtes qui auront assisté à la réalisation de son miracle. Ensuite, s’ajouteront à ses partisans des gens qui n’auront pas vu le miracle en question mais qui te considèreront toi, ou les autres témoins des faits, comme des personnes dignes de confiance. Vous formerez ainsi une communauté alignée derrière le message d’un Prophète. Ensuite, les générations se succédant, ceux qui avaient assisté au miracle auront disparu et les gens se diviseront en trois catégories. Ceux qui croient parce qu'ils ont confiance en ce qui leur a été légué par leurs prédécesseurs, ceux qui croient par conformisme en suivant ce sur quoi ils ont été élevés sans se poser trop de question, et ceux qui rejettent ces croyances en bloc les considérant comme des « légendes rapportées des anciens ». C’est de ce dernier groupe dont fait partie la personne sensée qui m’a interrompu dans ma démonstration avançant le fait qu’elle ne croyait pas en ces histoires dont je me sers pour argumenter.

Convenons de considérer ce qui suit comme un « cycle de la prophétie ». Lorsque l’homme est envoyé par Dieu à l’humanité, Il lui accorde d’accomplir des miracles. Ceux qui assistent à la réalisation de ses miracles croient en lui en tant que messager de Dieu et il en va de même pour tous ceux qui les considèrent comme dignes de confiance. Une communauté se forme autour de ce Prophète qui enseigne aux gens le sens de leur vie ainsi que la façon dont ils doivent la mener afin que Celui qui les a créés soit Satisfait d’eux. C’est l’ensemble de ces enseignements que l’on appelle communément « religion ». Puis, les générations se succèdent. N'ayant pas vocation à agir jusqu'à la fin des temps, l’impact des miracles se dissipe et ce qui fut considéré comme une preuve décisive de l'authenticité du message en son temps devient une « légende rapportée des anciens » à laquelle on n’accorde plus ou très peu d’importance. Les enseignements laissés par le Prophète sont délaissés, altérés, perdus ou encore modifiés par maladresse ou pour des intérêts mondains. Quels qu’ils soient, les gens s’éloignent de fait de la religion. Soit en la délaissant, soit en s'accrochant à ce qui n'est plus que sa pâle copie. De là, bien qu’un éclat de lumière l’ait éclairée l’ombre d’un instant, l’humanité se tourne à nouveau vers le scepticisme et, éloignée de la guidée divine, ses questionnements quant à la raison de sa présence sur terre refont surface. Accomplissant ainsi ce que l’on a convenu d’appeler un cycle de la prophétie.

Suite à cet état, un nouveau Prophète est envoyé. Il vient rétablir ce qui a été altéré du message de son prédécesseur, le purifier de ce qui y a été ajouté et l’enrichir de ce que Dieu aura voulu. Par cette action, la religion précédente est abrogée et c’est le dernier message apporté qui entre en application. Cependant, à l’avènement de ce nouveau prophète, certains prétendus partisans de son prédécesseur refuseront, pour différentes raisons, de le suivre et resteront sur leur religion. Bien qu’elle soit alors abrogée.

Par exemple, lorsque Jésus fils de Marie - sur lui la bénédiction et la paix - a été envoyé aux enfants d’Israël, certains d’entre eux ont refusé de le suivre. Ils prétendaient suivre Moïse - sur lui la bénédiction et la paix - et rester sur la religion apportée par celui-ci. De là, une communauté censée être unique s’est scindée en deux. D’un côté les juifs, de l’autre côté les chrétiens. Or, les derniers commandements divins accessibles à cette époque étant avec Jésus fils de Marie - sur lui la bénédiction et la paix -, il était le seul, à ce moment précis, en droit d’être suivi. De même, lorsque le Prophète Muhammad - sur lui la bénédiction et la paix - a été envoyé à l’humanité toute entière, certains juifs et certains chrétiens ont refusé de croire en lui. Ils prétendaient suivre leurs Prophètes respectifs et rester sur la religion de ceux-ci. Or, les derniers commandements divins accessibles depuis cette époque étant avec le Prophète Muhammad - sur lui la bénédiction et la paix -, il était le seul en droit d’être suivi à ce jour. Il a d’ailleurs dit à l’un de ses Compagnons venu le trouver avec en sa possession un écrit qu’il trouva chez les gens du Livre : « Si Moïse - sur lui la bénédiction et la paix - était vivant, il n’aurait pas eu d’autre choix que celui de me suivre ! » étant le dernier des Prophètes et messagers, il en sera ainsi jusqu’à la fin des temps.


*    *    *


Bien que l’on puisse parfois avoir l’impression que plusieurs religions coexistent, il n’en est rien. La réalité est qu’une seule d’entre elles est agréée par Dieu et que les autres sont abrogées. Ceux qui refusent de délaisser une religion qui s’avère être abrogée le font soit parce qu’ils n’ont pas connaissance de ce fait [3], soit parce que c’est une étape qui leur semble difficile à surmonter, insurmontable [4] ou encore parce qu’ils pratiquent leur religion d’une façon conformiste, sans trop de conviction et, de ce fait, sans se poser trop de questions. D’autres raisons sont envisageables mais, même si loin d’être inintéressantes, elles sortent du cadre de cet écrit.

Après s’être posé la question de la création, puis celle du sens de la vie, puis après avoir reconnu la nécessité d’une révélation divine informant l’humanité au sujet des questions restées sans réponses, chacun se doit de regarder objectivement ce sur quoi repose sa religion ou celles qu’on lui propose ici et là et de se questionner. « Sur quoi repose ma conviction que ma religion est la bonne ? », « Ai-je réellement réfléchi à ce sujet ? », « Quels sont mes arguments ?» Nous avons vu dans le cycle de la prophétie que le Créateur appuyait Ses messagers et leur accordait des preuves incontestables en mesure de convaincre. La vraie question est donc : « Y’a-t-il une religion qui puisse encore, de nos jours, se targuer d’être de source divine et de disposer de preuves à ce sujet ? » 

Si c’est le cas, son droit le plus élémentaire est que l’on y adhère.





[1] L’article qui suit résume, d’une manière simple et accessible, le cycle de la prophétie tel qu’exposé dans les textes en Islam ainsi que ce en quoi nous croyons, en tant que musulmans, à ce sujet.
[2] C’est notamment à cause d’une mauvaise interprétation des miracles qui lui ont été donnés de faire que certains se sont mis à adorer Jésus fils de Marie - sur lui la bénédiction et la paix -. Or, à l’origine, ces miracles n’étaient que des signes destinés à prouver sa prophétie. Jésus fils de Marie n’est pas Dieu, mais l’un de Ses serviteurs et messagers. 
[3] L’ignorance des faits peut être « simple », comme pour la personne n’ayant jamais entendu parler d’une autre religion que la sienne, ou celle qui s’est posé des questions mais n’a pas eu l’occasion de rencontrer quelqu’un en mesure de lui répondre d’une manière convaincante ; ou « exacerbée », comme pour la personne qui subit une propagande médiatique sans avoir pu au préalable se donner le temps de comparer les textes et les arguments de chacun afin de s’en faire une idée personnelle.
[4] Par crainte des critiques des proches, des réactions de l’entourage, de la difficulté à changer leurs mauvaises habitudes, etc.

mercredi 14 février 2018

La parabole de la poubelle...

Dire ses « quatre vérités » à une personne n’est pas toujours la meilleure façon de voir s’opérer le changement que l’on espère à son sujet. Bien souvent, l'opération s'avère même contre-productive. Et les exceptions confirment la règle. Face à mon franc-parler de l’époque, un homme – référence incontournable à mes yeux lorsqu'il s'agit de garder son calme dans les situations éprouvantes – m’a posé la question suivante : 

- Penses-tu qu’il suffise de dire : « Ça pue chez toi ! » pour faire sortir de sa poubelle une personne qui y vit depuis des années ? 
- Comment ça ? 
- Ne crois-tu pas qu’il soit habitué à cette odeur qui t'apparaît nauséabonde ? 
- Bien sûr que si ! Il y vit.
- Quel est l’intérêt de la lui signaler alors ? 
- Eh bien...
- Ton objectif est-il de lui faire remarquer que toi, contrairement à lui, tu ne vis pas dans une poubelle ou plutôt de l’en faire sortir, puis qu’il s’en éloigne ? 
- De l’en faire sortir... 
- Comment espères-tu parvenir à tes fins en agissant de la sorte ? 
- En le faisant réagir, qu’il ouvre les yeux sur sa situation ! 
- C’est ce qu’il va faire. Il va se braquer, te dire : « C’est toi qui pue ! » et te demander pour qui tu te prends. Tu y vois le début d'un échange constructif ?
- J'avoue que non...
- La première chose à faire c’est le sortir de sa poubelle. D’une manière ou d’une autre, avec tact et sans forcément lui faire part de ton objectif. Ensuite, une fois ce pas franchi, dirige-toi avec lui vers un endroit agréable et qui sent bon. S’il y reste, ne serait-ce que quelques instants, il va s’imprégner de sa bonne odeur et découvrir quelque chose de différent. De retour à sa poubelle, il réalisera de lui-même combien l’odeur de celle-ci est nauséabonde, sans que tu n’aies besoin d’en parler. Et même s’il s’y installe à nouveau, il saura qu’autre chose existe et qu’il est loin de vivre dans un endroit idéal. Ensuite, rappelle-lui de temps en temps qu’une autre vie est possible, que la porte reste ouverte. Et sois toujours prêt à l’accueillir s’il se décide à y entrer.

mardi 6 février 2018

Interview 2014 (Partie 3/6) - Premiers pas


– Qu’as-tu ressenti dès les premiers temps de ton entrée en Islam ? [1] 

Une intense sensation de bien-être intérieur. Elle était fortement liée à tout ce que nous avons déjà évoqué, mais aussi due au fait de pouvoir appréhender la vie et son sens avec une nouvelle grille de lecture. Quoi qu'en disent les vendeurs de lampes, l'Islam est et restera la religion de la cohérence. Avec les informations qu'elle t'apporte, de nombreuses zones d'ombre relatives à ton existence s'éclaircissent. Les questions auxquelles tu n'avais pas obtenu de réponse jusqu'alors, les épreuves que tu as eu à surmonter, tout prend place dans un ensemble clair et équilibré. Cette sensation de paix, on ne la trouve ni dans l'alcool, ni dans la drogue, ni dans les antidépresseurs ou le divertissement à outrance, pas plus qu'on ne la trouve - d'une manière durable j'entends - en montant le son à fond au point de ne plus s'entendre avoir besoin de réfléchir au calme, elle n'existe nulle part ailleurs. Pour quiconque prend le temps d'observer le monde qui l’entoure, qu'il s'attarde sur la terre, la mer, le ciel, les plantes, les animaux ou les êtres-humains, ce qui s'apparente de loin à un chaos total s'avère être encore mieux réglé qu'une montre suisse. Le fait d'intégrer ce système harmonieux, tout en y saisissant ta place et ton rôle, c'est te laisser aller enfin à suivre le cours de la rivière après avoir passé des années à t'y débattre à contre-courant. Tu souffles, tu te sens bien, c'est là. Ce que procure réellement le fait de poser son front sur le sol avec le cœur en paix ne s'exprime que très partiellement, même à travers une image, et aussi belle soit elle. Bien évidemment, à côté de cela, la vie n'en devient pas pour autant un long fleuve tranquille. A cette sensation de bien-être, viennent s'ajouter des tas de nouvelles questions : les ablutions, la prière, quand et comment les accomplir ? Pour commencer. Puis, très rapidement, c'est au tour des interrogations concernant tes habitudes, ton environnement, ta nourriture, tes relations sociales. En fait, l'Islam englobant tous les aspects de la vie, tu te retrouves facilement à te questionner sur tes moindres faits et gestes.

– Qu’as-tu entrepris en premier suite à ta conversion ?
J'ai cherché à vivre en cohérence avec mes convictions. Et tous ceux qui ont fait le pas pourront témoigner de ce qui suit : aussi chère soit elle à tes yeux, il n'est pas une action, une activité, une passion ou une fréquentation que tu délaisses en vue de te conformer à ce que tes croyances impliquent, sans qu'il ne te soit accordé meilleure et plus profitable qu'elle. Il faut juste se lancer. Pour ma part, tout a été facilité. Déjà, je souhaitais arrêter la musique depuis bien avant ma conversion, dans la période qui a suivi mon troisième album pour être exact. A cette époque, ce n'était pas pour des raisons religieuses. Ce n'était pas non plus, comme j'ai pu le lire quelques fois, dû à un manque de reconnaissance ou de succès. Car même si nous n'étions pas souvent mis sur le devant de la scène médiatique, en raison notamment des propos critiques que nous tenions à de nombreux sujets, notre succès d'estime se mesurait sur le terrain. Et nous y étions assez sollicités pour continuer d'en vivre. Modestement certes, mais selon l’éthique que nous défendions. C’était l’essentiel. En fait, c'est uniquement parce que deux de mes proches de l'époque m'ont demandé de ne pas arrêter à ce moment-là que j'ai continué. L'échéance a été repoussée le temps d'un nouveau cd, mais l'intention de mettre fin à ma courte carrière était déjà présente. 
Quelques  jours  avant  ma conversion « officielle »,
nous venions de sortir des studios d'enregistrement
et  mon  quatrième  album  partait  à  la  fabrication.

Quelques jours avant ma conversion « officielle », nous venions de sortir des studios d'enregistrement et mon quatrième album - La rage de dire - partait à la fabrication. Nous étions en train d'en préparer la campagne promotionnelle. Mieux (ou pire) que ça, financièrement parlant, j'étais en fin de contrat. Aussi bien du point de vue de la maison d'édition que de celui de la maison de disque qui me produisait. Ce qui signifie, je précise pour ceux des lecteurs qui ne sont pas au courant des pratiques de ce milieu d'escrocs, que j'en étais à ce que l'on peut appeler un moment clé de la carrière d'un artiste. Un moment où l'on peut te proposer une somme conséquente d'argent en fonction des choix que tu fais et des accords que tu signes. C'est l’une des épreuves de ceux qui se retrouvent dans ce genre de situation. D'un point de vue matériel, tu as l’impression de sauter sans filet. D'un point de vue personnel, tu replonges dans l'anonymat. Or, l'amour de l'argent et de la renommée sont deux facteurs qui empêchent beaucoup de gens en place de délaisser le monde de la musique. Parmi eux, certains musulmans connaissent très bien la position de la grande majorité des savants de l’Islam à son sujet. Mais vu que beaucoup de ceux qui les entourent souhaitent secrètement vivre (ou continuer de profiter de…) ce qu'ils prétendent espérer pouvoir délaisser un jour, très peu nombreux sont les gens qui les encouragent à le faire. D’où l'importance, pour celui ou celle qui souhaite se mettre bien dans l'Islam, de changer d'environnement et de fréquentations s’ils sont en contradiction avec ses idéaux. Ne serait-ce que le temps de se renforcer. Cela ne signifie pas renier tes amis ou te croire meilleur qu'eux. Simplement, tu ne peux pas changer tes habitudes en restant avec ceux qui en font partie. C'est une décision douloureuse car elle te pousse à t'écarter de ceux que tu aimes. Mais il faut la prendre. A moins que vous ne décidiez tous, et au même moment, d'en faire autant. Et je ne peux pas nier que, parmi les choses qui m'ont aidé à m'écarter complètement du monde de la musique, hormis que j'en étais déjà relativement détaché, il y a le fait que je me coupe complètement de l'environnement dans lequel j'évoluais. De plus, ma conversion suscitant en moi de nombreuses questions concernant la vie de tous les jours, j'avais envie de me poser pour apprendre ma religion et réfléchir à tout ça.

On entend souvent parler du « zèle » des convertis quand il s'agit des études religieuses. Qu'en penses-tu ?
Parler de convertis sans tomber dans les clichés et les malentendus est assez délicat. Donc, dans le cadre de cet échange, nous entendrons par converti : « Toute personne issue d'une famille non musulmane et qui décide, par conviction, d'accepter l'Islam comme croyance et mode de vie ». A mon sens, et au-delà de cette acception du terme, il n'y a pas de converti « type ». Nos origines, l'éducation reçue, nos parcours respectifs, les milieux dans lesquels nous avons évolué avant l'Islam, notre cheminement spirituel et tout un tas d'autres facteurs qui entrent en jeu font qu'il est difficile de parler des convertis comme d'un ensemble monolithique. Je vais essayer de soulever quelques points qui me semblent importants à ce sujet en évoquant mon expérience personnelle, différents profils que j'ai eu l'occasion de rencontrer, ou de fréquenter. Mais il est évident que le sujet est bien plus vaste que ce que je saurais pointer du doigt.[2] De là, et pour revenir à la question initiale, je ne crois pas que les convertis soient de plus fervents étudiants que les autres. Simplement, au moment où l'on entre en Islam, ce qui peut éventuellement nous différencier de ceux ayant grandi dans une famille musulmane, c'est que nous n'avons aucun doute sur la faiblesse de notre bagage religieux. Et comme connaître son ignorance c'est déjà un grand pas de fait sur la route du savoir, beaucoup d'entre nous hésitent moins avant de s'engager dans l'apprentissage. C'est ressenti comme quelque chose de vital. En même temps, ceux qui ne sont pas convertis et reviennent à l'Islam après quelques années d'absence ou une adolescence loin de ses préceptes me semblent ressentir à peu près les mêmes besoins que nous. Même la particularité d'avoir une famille non-musulmane et le souci que suscite chez elle le fait de nous découvrir « tout à coup » religieux, n'est pas si éloignée de ce qu'ont à surmonter les frères et sœurs dont les parents se disent musulmans « non-pratiquants » ou revendiquent une pratique que certains qualifieront de légère. Parfois, c'est même encore plus difficile pour eux. Combien de nos sœurs, pourtant issues de familles musulmanes, rencontrent des difficultés lorsqu'elles se mettent à pratiquer leur religion sérieusement et décident, par exemple, de porter le foulard et de se vêtir de manière à ce que le regard des hommes ne se pose plus sur leurs corps ? De nos jours, beaucoup de valeurs sont inversées. Nous traversons une époque complexe où la plupart des généralités n'ont pas grand sens. En son sein, les histoires s'enchevêtrent, interagissent. Et même si les profils sont différents, bien souvent, les blessures se ressemblent. Celui qui pose son regard du point de vue de l'imam au moment de la prière du vendredi dans une mosquée de France a vite fait de saisir, par le biais de ce que renvoient les visages des fidèles, une mosaïque de parcours qui témoignent de ce fait.


Personne issue d'une famille non musulmane et qui décide, par conviction, d'accepter l'Islam comme croyance et mode de vie
- As-tu des choses à ajouter au sujet des convertis ?

Déjà, que ce n'est pas un statut social censé nous définir éternellement. Une fois que tu es convaincu et que tu acceptes l'Islam, tu deviens un musulman parmi les autres. Avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Certainement, tu as un parcours qui t'est propre ainsi que des particularités. Mais c'est le cas pour chaque être humain à la surface de cette planète, pas une caractéristique propre à celui ou celle qui devient musulman(e) en France. La question de l'identité du converti est très pointue. La question de l'identité en général aussi d'ailleurs. D’où toutes les crispations que l'on retrouve autour de celles-ci. Du croisement des cultures à l'affirmation de soi et au respect de l'autre, en passant par le fait de s'enrichir de la différence sans en arriver à l'aliénation de celui qui va jusqu'à s'en oublier lui-même, les limites sont subtiles. Et quel que soit le point de vue d'où l'on regarde la scène, le scénario se vérifie. Car à l'époque où certains aiment à prétendre que le monde est devenu un village, peu de ses habitants savent réellement qui ils sont et d’où ils viennent. Et ne parlons même pas d’où ils vont. Ajoute à cela l'ignorance généralisée des préceptes de l'Islam et de ses objectifs, les amalgames entre religion et culture, la désinformation médiatique à outrance et les plaies de l'histoire encore toutes fraîches. C'est difficile de te retrouver entier à la fin de l'état des lieux. En réalité, même si l'on en parle parce que c'est le sujet, que tu sois converti ou pas ne change pas grand-chose à la problématique des identités qui ont du mal à trouver leurs repères. Le racisme, lui, trouve aussi bien sa place dans le fantasme que dans l'appréhension. Quoi qu'il en soit, en tant que musulman, c'est par tes croyances que tu définis ton rapport aux autres. Si tes croyances sont correctes, ton comportement suivra. Peu importe l'origine et la couleur de celui ou celle à qui tu as affaire. Et même si tu as des manquements dans tes relations avec les autres, plus tu feras des efforts pour être en accord avec les principes de l'Islam, plus tu seras un bien pour les gens qui t'entourent. Et le racisme ne fait pas partie de ses préceptes.
- Le racisme au sein de notre communauté n'en reste pas moins une réalité palpable. Non ?

L'Islam est  innocent  du  comportement des racistes qui
 s'en revendiquent... Les textes sont nombreux à ce sujet. 
La peur de l'inconnu est un réflexe humain. Mais cette peur doit être surmontée et régulée par des valeurs qui la contiennent. Tu peux trouver des musulmans racistes, sans trop de difficulté d'ailleurs. Il n'empêche que c'est la communauté où tu en trouveras le moins.  Et l'orgueil n'étant pas l'apanage d'un peuple en particulier, tu en trouveras aussi bien parmi les musulmans arabes, que parmi les musulmans blancs, noirs ou asiatiques. Ce qu'il ne faut pas oublier de souligner ici, c'est que l'Islam est innocent du comportement des racistes qui s'en revendiquent. Car ce racisme dont ils font preuve et ces peurs qu'ils n'arrivent pas à surmonter vont à l'opposé des principes auxquels ils sont censés se soumettre. Les textes sont nombreux à ce sujet. Le problème ne vient donc pas d'une absence de législation concernant le racisme et la façon dont les textes en Islam se désavouent de lui et de ses adeptes. C'est plutôt notre négligence à l’égard des références musulmanes en général qui doit être mise en cause et attirer notre attention. Et ceci est valable face aux différentes problématiques de la vie qui se présentent à nous. Chaque fois que le musulman s’éloigne de ses références, que ce soit par ignorance, aliénation ou négligence, il en sort avili. De plus, en agissant ainsi, il cache au reste du monde la beauté du message dont il est censé être l’ambassadeur. Bref, pour en revenir au sujet des convertis, et face à cette complexité des identités dont nous parlions plus tôt, essayer d’oublier qui tu es et d’où tu viens n'a pas lieu d'être. L'Islam ne te demande pas de renier tes origines, de ne plus être normand, corrézien, breton, dionysien, créole ou savoyard pour devenir, par on ne sait quel effort hors du commun, turc, maghrébin, indien, yéménite, égyptien ou saoudien. L'Islam te demande d'adorer un Dieu Unique, Celui qui t'a créé, sans Lui associer qui ou quoi que ce soit, et de ne délaisser de ta culture que ce qui pourrait être un obstacle à ce culte exclusif. Pas de devenir schizophrène. Pour bien comprendre ce genre de chose, à nous de revenir aux sources, de nous imprégner des valeurs réelles de l’Islam et de la compréhension des textes qui a fait de ses premiers adeptes des modèles sans précédent pour l’humanité. De cette façon, l’individu musulman peut s’épanouir en se détachant des pratiques qui nuisent à sa propre personne ainsi qu’aux autres tout en tirant profit des particularités qui sont les siennes et en étant un bien effectif pour sa communauté. Il faut donc s’efforcer d’être entourés de gens fiables, attachés à leur religion et ayant les compétences nécessaires pour nous indiquer le juste milieu qui la caractérise. De là, on peut espérer éviter les excès. Aussi bien le rigorisme exacerbé que le laxisme. Parce que le second n’est pas moins dangereux que le premier. Et parce que les dérapages arrivent vite. Par exemple, si tu es converti, te réunir avec des frères aux profils proches du tiens en vue de vous entraider à surmonter certaines difficultés dues à votre parcours commun est une bonne chose. Aussi louable que nécessaire d'ailleurs. Car les nouveaux musulmans ont besoin de bons conseillers, qui comprennent les épreuves qu'ils traversent. Et ils se trouvent souvent confrontés à des problématiques qui demandent connaissance, réflexion, sagesse et sens des priorités. Et parce qu'il arrive aussi que l'on se sente seuls et démunis face à des situations qui nous dépassent. Ceux et celles qui connaissent la solitude du jour de l'aïd, lorsque presque tout le monde autour de toi te quitte pour retrouver sa famille, savent certainement de quoi je parle.[3] Cependant, il ne faut pas que ces réunions se transforment en un club privé qui coupe les convertis du reste de la communauté. Ce sont des questions au sujet desquelles les musulmans vivant dans des pays comme la France doivent se consulter. Tu ne peux pas reprocher à tes jeunes d’aller apprendre leur religion sur internet, avec les risques que cela comporte, alors qu’aucune structure digne de ce nom n’est disponible pour eux là où ils se trouvent et que, dans certaines mosquées, on en est encore à traduire ce qui est dit uniquement lorsqu’il s’agit de lever des fonds.

- Trouver sa place dans la communauté musulmane, est-ce une chose facile ?

La façon dont tu vas appréhender la vie en groupe est très liée à ta propre personnalité et à ton vécu. On peut t’aider à t’intégrer à un groupe, mais personne ne peut le faire à ta place. Dans un premier temps, il faut que tu en ressentes la nécessité. Et en cette époque du virtuel où les gens ont facilement cinq cent « amis » sur Facebook mais ne trouvent personne pour les aider à déménager, il est vital de bien saisir l’importance d’apprendre à vivre en communauté. Dans la vraie vie. Celle où les affinités ne s’arrêtent pas à un « + » ou un pouce vert et dont les avantages ne sont pas dissociables des inconvénients. La base de référence en Islam est que les musulmans sont des frères. Ils forment une communauté. Et quelles que soient les difficultés que tu puisses rencontrer avec certains des membres qui la constituent, cette famille reste ta famille. D’autant plus que, celle-ci, tu l’as choisie pour la noblesse de ses idéaux et que, de ce fait, tu as aussi des responsabilités à son égard. Aucun doute que pour rayonner comme elle le doit, notre communauté a besoin du savoir-faire et de l'expérience de chacun de ses membres. Etant donné que les convertis sont le fruit de leur contexte et qu'ils le maîtrisent généralement assez bien, il va de soi qu’eux aussi ont un rôle à y jouer. Et même si certains responsables associatifs un peu trop accrochés au pouvoir et ayant du mal à lâcher du lest ne l'acceptent que difficilement - lorsqu'ils veulent bien l'accepter - il est évident qu’il faut et qu’il y a de la place pour tout le monde. Cependant, apprendre à se connaître à et vivre ensemble malgré nos différences prend du temps. C'est en cours, mais ça demande de la patience. Et le musulman doit apprendre à patienter. Même si parfois c’est lourd et qu’il faut faire ses preuves. Car personne de censé ne te donnera de responsabilités importantes si tu es un nouveau. Converti ou pas, rien ne t’est dû en dehors de ton droit. Il faut donc s'efforcer de comprendre d’où nous parle notre interlocuteur et l’inviter à en faire de même. Ne pas juger trop vite. Nous chercher des excuses et des circonstances atténuantes dans le dialogue plutôt que des manquements impardonnables qui causent l’éloignement. On doit s'entraider dans le bien avec plus de zèle que d'autres ne s'entraident dans le mal, se conseiller mutuellement et accepter les critiques. Et lors de celles-ci, se rappeler du fait que « la douceur n’a jamais accompagné une chose sans l’embellir » [4] fait partie des enseignements de l’Islam. De plus, en cas de désaccord, nos sources sont là pour trancher. N’importe quel tordu peut détruire les efforts de plusieurs années en quelques secondes. Construire, cela demande beaucoup plus de compétences et de courage. C’est comme s’attarder sur ses propres défauts avant de se préoccuper de ceux des autres. Car oui, en effet, les défauts ne se trouvent pas uniquement chez les autres. Et employer la bonne méthodologie est primordial pour l'équilibre et la bonne évolution d’une communauté. Chacun sa place et sa fonction, sans oublier le dialogue et l'ouverture d'esprit. Cependant, insistons à nouveau sur le fait qu’être un médecin reconnu par ses pairs, un journaliste prolifique, un chercheur méticuleux, un historien appliqué, un orateur brillant, un scientifique de renom, être particulièrement vif et intelligent, avoir fait science-po où autres grandes écoles, ajouté au fait d’être musulman, ne fait pas de toi un commentateur du Coran, ni un mufti. Malgré les compétences qui sont les tiennes, ces caractéristiques en requièrent d’autres qui demandent des années d’efforts que tu n’as pas fournis. Chacun d'entre nous doit donc connaître et reconnaître ses limites, savoir dire « je ne sais pas » et passer le relais aux personnes compétentes dans le domaine qu'il ne maîtrise pas. La fausseté et la discorde s'installent facilement là où le savoir et le respect des gens de science n'ont pas leur place. Pas besoin d'aller chercher bien loin pour faire ce triste constat. Encore une fois, ce qui vient d'être dit ne concerne pas exclusivement les convertis. Mais étant donné que nous faisons partie intégrante de la communauté musulmane, cette question en recoupe de nombreuses autres.
- Il faudrait donc opter pour un juste milieu entre l'humilité excessive et la vanité ?


 Et  ne  marche  pas  sur  terre avec orgueil : jamais  tu  ne  sauras 
fendre la terre et  jamais tu n'atteindras la hauteur des montagnes.
[Coran : 17/37]
Rester humble est un signe de lucidité. Qui que tu sois. Parfois, les gens parlent peu, notamment les personnes âgées, mais le simple fait de croiser leurs regards laisse entrevoir un passé chargé d'émotions que peu d'entre nous auraient eu la force et le courage de supporter. Je me souviens d'un courrier que m'avait envoyé une lectrice des premiers articles de ce blog dans lesquels je relatais quelques éléments autobiographiques. Elle m'a encouragé dans ce sens et a souligné quelque chose de très important. Je ne me souviens plus des termes exacts qu’elle a employés mais elle disait, dans le sens : « Je crois que tout le monde a une histoire exceptionnelle. Simplement, tout le monde n'a pas [le luxe d'avoir] le recul nécessaire sur sa propre vie pour la saisir, ni forcément les mots qu'il faut pour la raconter ». J'ai trouvé cela très vrai. Car chacun d'entre nous à une histoire singulière. Pas seulement les extravertis ne craignant pas de s’affirmer en société. Chacun d’entre nous. C'est-à-dire aussi bien ceux qui viennent d'être cités que les gens timides, faibles ou réservés. Qui prend le temps d’écouter leurs histoires ? Jeune, vieux, homme, femme, d'ici ou d'ailleurs. Chacun a son parcours. Certains ont évolué dans l'Islam depuis leur plus tendre enfance, d'autres l'ont choisi en chemin et adopté comme croyance et mode de vie. C'est un choix qui n'est pas fait à la légère. Et les convertis eux aussi ont leur histoire. Cette histoire, ne serait-ce qu'en raison de ce qu'elle a engendré comme bouleversements dans les vies respectives de ceux et celles qui en sont les fruits, et qu'ils ont eu à assumer quel qu'en soit le prix, est respectable au même titre que l'histoire de chacun de leurs coreligionnaires. De plus, et sans pour autant s'en enorgueillir, il faut que chaque personne qui accepte l'Islam demeure fière de ce choix, ne serait-ce qu'en se rappelant qu'une grande partie des Compagnons du Prophète de l'Islam, notamment les premiers, ont accepté l'Islam à un âge avancé de leurs vies. Eux aussi se sont convertis. Ils étaient pratiquement tous arabes, certes, mais pas moins étrangers parmi les leurs. Et ce qu'ils ont eu à vivre d'épreuves, concernant la rupture avec leurs habitudes passées, les réactions de leurs familles face à leur nouvelle croyance et ce que ce choix impliquait de sacrifices au quotidien pour eux, sont autant de points communs avec ce qu'ont à vivre ceux qui, depuis lors et jusqu'à nos jours, choisissent de devenir musulmans.
- Un mot au sujet des personnalités converties à l'Islam ?
Oui, même si les deux points précédents couvrent un vaste domaine qui mériterait d'être détaillé et illustré par de nombreuses anecdotes, il est bien de conclure par un troisième point, qui me touche encore plus particulièrement d'ailleurs. Qu'un chanteur, un sportif de haut niveau, un acteur ou toute autre personne publique de renommée nationale ou internationale accepte l'Islam, c'est une bonne chose pour lui. S'il est sincère, c’est même la meilleure chose qui puisse lui arriver. En tous les cas c'est ce que nous croyons en tant que musulmans. Quant à cette religion, elle ne tire pas ses lettres de noblesse du fait qu'un tel ou une telle l'ait acceptée. Tu peux être touché du fait qu'une personne que tu apprécies entre en Islam, et sa personnalité peut-être telle qu'elle apporte effectivement un bien palpable à la communauté, mais n'en fais pas trop à son sujet. D'une part, c'est dangereux pour elle : sa pratique et sa spiritualité risquent d'être altérées par ton comportement excessif à son égard. Et d'autre part, c'est dangereux pour toi : si elle glisse, tu risques de la suivre ou de sombrer avec elle, fauché par la déception. Ensuite, voyons les choses telles qu'elles sont, ce n'est pas nous qui avons fait honneur à l'Islam et aux musulmans en acceptant cette religion. C'est plutôt nous qui avons été honorés par le fait d'être affiliés à elle et sa communauté. De ce fait, quiconque souhaite prendre des modèles, qu'il s'inspire de ceux au sujet de qui il n'a aucune chance de se tromper. Qu'il s'inspire de ceux qui sont morts parmi les premières générations de cette communauté, ou encore de ceux qui ont marqué le cours de son histoire depuis cette époque jusqu'à nos jours. Quant à tes contemporains, ceux que tu as vu jouer au foot ou entendu rapper des couplets que tu connais par cœur et que tu admires, qui t'a dit comment ils allaient finir ? Et si tu ne sais pas comment ils vont finir, pour quelle raison faudrait-il t'aventurer à les prendre comme exemples ? N'ayons pas peur de perdre notre « prestige » en éloignant les gens du culte de la personnalité.  Encore une fois, c'est valable pour les gens dont il est question ici, mais pour beaucoup d'autres encore, y compris - à un autre niveau - chez les étudiants et les prédicateurs. Où en sommes-nous des enseignements de l'Islam et de l'Unicité (« At-Tawḥîd ») auxquels nous invitons les autres, lorsque nous laissons les gens rêver à notre sujet et nous élever à des statuts que nous ne méritons pas ? Il faut dire aux frères et sœurs qui sont émus par la célébrité de certains ou par la conversion de certaines célébrités de descendre de leur nuage. Soyez émus avec modération. La route est longue pour tout le monde. Et soyez-le de tout cœur le jour où vous aurez appris que leur destination finale aura été la bonne. En attendant, le musulman à des références qui lui sont propres, des héros qui ont réellement existé et dont l'histoire n'attend qu'une traduction fidèle pour inspirer l'avenir. C'est leurs noms qui doivent faire vibrer le cœur de nos enfants. Et c'est à nous de transmettre la beauté et la grandeur de l'Islam aux nouvelles générations. L’Islam n’est pas un héritage à prendre à la légère, ni un patrimoine culturel à brader contre un titre de séjour, une place en politique ou une chaire de faculté ; ce n'est pas non plus un gage de crédibilité à placer entre deux punch-lines toutes autant malsaines que le support sur lequel elles sont mises en valeur. C’est évident pour quiconque connait bien sa religion. Mais aujourd’hui, force est de constater que la confusion s’est installée dans l’esprit des plus jeunes d’entre nous. Et que l’épidémie n’épargne pas non plus leurs aînés...



(À suivre…)



[1] Dans un souci de cohérence et d'équilibre entre les différents extraits de l'entretien, la partie 3/6 a été partiellement réécrite et restructurée. Les thèmes qui n'y figurent plus sont traités dans les passages postérieurs...

[2] Pour la simple et bonne raison que ma sensibilité n’est pas « La » sensibilité des convertis. Et que personne ne m’a élu pour parler en leur nom.
[3] J'ai quelques anecdotes concernant le jour de l'aïd que j'espère pouvoir partager avec vous à l'occasion.

[4] « La douceur n'a jamais accompagné une chose sans l'embellir et elle n'a jamais été ôtée d'une chose sans que celle-ci n'en soit enlaidie » est une parole authentiquement attribuée au Prophète de l'Islam [rapportée par Mouslim].

samedi 20 janvier 2018

Questions cruciales...


Quiconque admet la nécessité d’un Créateur et s’arrête, ne serait-ce qu’un instant, sur la perfection de Sa création Lui reconnaît immédiatement certaines caractéristiques. Parmi elles, le fait qu’Il soit Puissant et Sage. Or, rien qu’à l’échelle humaine, personne n’accepte l’idée qu’un sage puisse agir sans raison ni objectif. L’idée que l’homme ait été créé afin d’errer sans but à la surface de la terre apparaît donc ici comme des plus farfelues. Cependant, concernant le sens de la vie, la question reste entière : Comment le découvrir ? L’expérimentation scientifique et la raison humaine sont-elles suffisantes pour y parvenir ? Essayons d’y réfléchir sérieusement quelques instants.

La raison humaine est source de progrès

La raison est cette faculté qui permet à l’homme, par le biais des expériences qu’il réalise, de tirer des conclusions sur l’univers qui l’entoure et, s’il en tient compte, d’en tirer avantage. Ainsi, lorsque bébé apprend à marcher, on le voit tâtonner, chuter, s’accrocher au canapé ou s’aider en s’appuyant sur les marches de l’escalier. En expérimentant le monde qui l’entoure, il tire des conclusions qui l’aident à mettre celui-ci à son service. Les exemples de ce genre sont innombrables et, du fait de se tenir debout à celui de marcher sur la lune, c’est la même règle qui prévaut. L’homme à cette faculté qui lui permet, par le biais de l’expérimentation, de tirer des conclusions et d’agir en fonction de ce qu’il considère être dans son intérêt.

La raison humaine est limitée

D’un autre côté, la raison ne peut pas guider l’homme dans un domaine qu’il n’a pas expérimenté. Ainsi, bien qu’il soit doté de cette faculté lui permettant de connaître et de juger, il n’est pas à l’abri d’utiliser le monde qui l’entoure en se faisant du mal à lui-même. Par exemple, un enfant attiré par le feu - qu’il voit pour la première fois - y mettra sa main sans l’ombre d’une hésitation. Ignorant des conséquences de son acte, il ne tiendra alors compte que de son envie d’assouvir sa curiosité et il se brûlera. Bien qu’il soit doté de raison, elle ne lui sera d’aucune utilité à ce moment précis car des informations lui manquent pour statuer avec discernement. Il en va de même pour l’homme en général et quel que soit le domaine dans lequel il évolue. Nous retiendrons ici que le champ d’action de la raison est limité. Au-delà de ce que l’homme à déjà expérimenté, elle n’est pas en mesure de le guider dans ses choix.

Utiliser la raison humaine hors de son champ d’action est une source d’égarement

Si tu réunis plusieurs personnes autour d’un sujet qu’elles ne maîtrisent pas, elles n’ont d’autre choix que celui d’émettre des conjectures en se basant sur ce qu’elles connaissent déjà. L’histoire qui suit illustre très bien ce qui vient d’être dit. On a placé un éléphant dans une pièce très sombre. Ensuite, on a fait entrer cinq personnes que l’on a disposées respectivement comme suit : l’une devant la trompe, l’autre devant la queue, la troisième devant une patte, la quatrième face à l’oreille droite et la dernière au niveau de la défense gauche. On a demandé à chacune d’entre elles de toucher l’animal puis, après les avoir fait sortir de la pièce, de décrire ce à quoi il ressemblait. La première a dit que c’était un animal long, épais, en forme de tube et souple ; la seconde a prétendu qu’il était relativement court et fin ; la troisième a nié en bloc les affirmations des deux précédentes et a dit qu’en fait, c’était une sorte de colonne, rigide et solidement ancrée dans le sol ; la quatrième a décrit une forme plate fixée on ne sait trop comment à on ne sait pas vraiment quoi tandis que la cinquième à rapporté avoir senti une forme osseuse, lisse et pointue n’ayant rien à voir avec un être vivant. En fait, ils ont tous décrit fidèlement ce qui leur a été donné de constater par le biais du toucher. Cependant, leur connaissance partielle les a induits en erreur. Ils ignorent la réalité de cet animal qu’ils croient pourtant connaître et quiconque s’appuiera sur leurs définitions sera, lui aussi, induit en erreur.

Le sens de la vie n’est pas accessible par l’expérience et hors de portée de la raison

Bien que l’homme ait la faculté d’apprendre de ses expériences, de nombreux sujets restent obscurs à ses yeux. Qu’y a-t-il après la mort ? Pourquoi suis-je sur terre ? Ma vie a-t-elle un sens ? Les questions de ce genre n’ont épargné aucune personne saine d’esprit. Et pour cause. D’une part, on ne peut acquérir ce type d’information par l’expérience humaine de notre vivant. D’autre part, ceux qui sont morts ne reviennent pas nous informer de ce qu’ils ont trouvé. Bien entendu, on trouvera toujours ici et là des gens imbus de leurs personnes qui émettent des hypothèses à ce sujet et en font des livres pompeux. Mais quelle est la valeur réelle de leurs paroles sans fin sur le sens de la vie ? Lorsqu’ils émettent des conjectures à son sujet, les philosophes athées sont semblables aux personnes que nous venons de décrire face à l’éléphant. Sauf qu’eux, ils tergiversent en connaissance de cause. Comment pourraient-ils prétendre connaître et enseigner aux autres le sens de la vie alors qu’ils ignorent eux-mêmes ses tenants et ses aboutissants ? Un mort serait-il venu les en informer ? En effet, seul un voyageur aguerri peut t’indiquer le bon chemin avec certitude. Quant à celui qui se contente d’émettre des hypothèses au sujet de routes qu’il n’a pas réellement parcourues, bien malheureux qui le suivra. Et bien malheureux qui le prendra pour guide.

Une donnée vitale et inaccessible ?

Quel est le sens de la vie ? Incapable d’acquérir d’elle-même cette donnée vitale, l'humanité en a pourtant besoin afin de vivre en conformité avec ce pourquoi elle a été créée et connaître une vie apaisée. A défaut de détenir cette information, l’homme est voué à errer sans but à la surface de la terre. Et c’est, comme nous l’avons vu plus haut, contraire à ce qu’il convient à la raison saine d’accepter au sujet d’un Créateur Puissant et Sage.

* * *

Bien que la raison humaine soit une source de progrès, son champ d’action est limité à ce qui est expérimentable par l’homme. De ce fait, elle n’aura jamais accès d’elle-même au sens de la vie et restera dans l’incapacité – aussi brillante soit elle – de guider l’humanité à ce sujet. Voilà pourquoi les philosophes divergent, tergiversent et tournent en rond depuis qu’ils existent. 

Quant au Créateur de cette raison humaine, parfaitement bien informé des limites de Ses créatures, Il ne les a pas laissées à l’abandon. Il a choisi des hommes et les a chargés de transmettre à l’humanité ces informations qu’elle ne pouvait acquérir d’elle-même. Quel est le sens de la vie ? Pourquoi avons-nous été créés ? Qu’y a-t-il après la mort ? Et bien d’autres éclaircissements au sujet des questions restées, pour le commun des mortels, sans réponse. Ces hommes sont ceux que les croyants des différentes religions reconnaissent comme Prophètes et Messagers. A part eux, aucune personne honnête ne peut prétendre informer l’humanité du sens réel de sa présence sur terre. 





lundi 8 janvier 2018

Interview 2013 (Partie 2/6) - Conversion


– Comment t’es-tu intéressé à l’Islam ?
Si grand, si complexe, si bien ordonné...

Comme on l’a vu précédemment, l'Islam a toujours été plus ou moins présent dans l'environnement où j'évoluais. Et comme toute personne qui se pose sérieusement la question, je croyais déjà en l'existence d'un Créateur [1]. A part ça, je ne me souviens pas d'un moment précis ou d'un déclic particulier. Il y a quelques anecdotes, bien sûr. Par exemple, lors d’une soirée, alors que j’étais de passage en Martinique dans le cadre de l’enregistrement de mon troisième album Détournement de son -, je suis allé m’asseoir seul au bord de la mer. Le ciel était dégagé, très noir, et il y avait des étoiles partout, de tous les côtés. Je n’étais pas habitué à ce genre de paysage. Non seulement je n’avais jamais vu autant d’étoiles mais, en plus d’être innombrables, elles semblaient vraiment très proches. C’était une atmosphère presque pesante. Au loin, j’entendais la musique, l’agitation des gens qui s’amusaient, mais je restais fasciné par ces étoiles, le fait qu’elles soient si loin en réalité, que l’univers soit si grand, si complexe, si bien ordonné. Ressentir ce genre de vertige, ne serait-ce que quelques minutes, à un moment de ta vie où tout semble tourner autour de toi te laisse dans un état assez difficile à décrire. D’un côté, les gens te témoignent de l’amour, partagent tes idées, t’accordent un statut particulier et reprennent même en cœur ce que tu as écris seul un jour dans ta chambre ou ailleurs à des milliers de kilomètres de l’endroit où tu te trouves. D’un autre côté, et pour peu que tu t’accordes le temps d’y réfléchir - puis de l’admettre aussi - tu sais très bien que tu n’es pas grand-chose. Une fourmi, un grain de sable et encore bien moins que tout cela à l’échelle de l’univers. A cet instant, je me souviens qu’il m’est venu à l’esprit le fait que l’on appelait les célébrités du show-business des « étoiles », et que c’était aussi prétentieux que ridicule.

Réfléchir à la grandeur et à la perfection de la Création rappelle à l’homme qui il est vraiment. Quant au monde du show-business, il te fait oublier. Il t’enivre. Il est comme la télévision, les jeux vidéo et la musique dans les centres commerciaux, les ascenseurs et autres grands magasins. Il te fait oublier qui tu es, d’où tu viens et où tu vas. Ensuite, il t’invite à boire un verre à la terrasse d’un monde superficiel et te fait croire que tu es exceptionnel. Difficile de ne pas te prêter au jeu lorsque tout va dans ton sens. Or, si tu regardes bien, et même si tu as réellement un certain talent dans un domaine donné, ta réalité de fragile créature a tout pour te pousser à l’humilité. Car ce talent que les gens te reconnaissent, même si tu en es vraiment doté, tu sais très bien que tu n’y es pour rien. Tu es incapable de le transmettre à qui que ce soit. Et c’est bien là la preuve que tu ne le possèdes pas réellement. C’est comme la beauté, l’intelligence, le fait de « donner » la vie, etc. Les hommes et les femmes se marient, s’accouplent, font des enfants et vont même parfois jusqu’à s’enorgueillir lorsqu’ils en ont beaucoup. Mais d’où leur vient cette capacité ? Qui a donné à ton épouse ce corps qui lui permet de donner la vie ? Et toi, c’est grâce à ton intelligence que tu n’es pas stérile ? Ta finesse d’esprit ? Parce que tu es un battant ? Une machine de guerre surdiplômée ? Qui que tu sois, un courant d’air t’enrhume et un simple moustique peut te donner la mort. D’où te vient cet orgueil ? Pour qui te prends-tu ? Et pourquoi ne redescends-tu pas un peu sur terre ? Je n’avais pas souvent l’occasion de me retirer, d’être vraiment seul. Et cette vie qui défile à une vitesse ahurissante te laisse rarement le temps d’observer ces choses simples qui t’invitent à te questionner au sujet du sens de ta présence ici-bas. En vérité, nous sommes entourés de signes. Certains moments de l’existence sont plus propices que d’autres pour les observer, les saisir. Mais ils sont là, du plus profond de nous-mêmes aux horizons les plus lointains. Il faut juste prendre un peu de temps pour y réfléchir.


Un courant d’air t’enrhume et un simple moustique 
 peut te donner la mort. D’où  te  vient  cet  orgueil ? 

- D’autres anecdotes ?

Oui, certainement. Mais rien que personne ne puisse trouver en lui ou dans son entourage. Par exemple, celui qui perd un être cher alors qu’il est encore jeune apprend à vivre avec la mort. Elle est omniprésente et l’empêche même de s’accrocher trop fort aux gens qu’il aime de peur de souffrir à nouveau s’il venait à les perdre. C’est automatique, presque inconscient. Le fait de souvent penser à la mort t’apprend à tout relativiser, tes joies comme tes peines, tes amours comme tes haines. Et c’est aussi un aspect fort du cheminement spirituel. D’autre part, il y a ceux qui vivent dans l’insouciance de cette réalité. Le jour où un être qui leur est très cher quitte ce monde, ils commencent à réaliser que personne n’est éternel. Encore pire si c’est un proche de leur âge, ou plus jeune. Beaucoup de gens reviennent à la religion dans ces moments-là. Et il ne s’agit pas pour eux à cet instant, comme certains sociologues aiment à l’affirmer, de « s’accrocher à quelque-chose dans les moments difficiles ». C’est plutôt descendre du nuage de l’insouciance suite à un électrochoc qui te met devant la réalité de ton existence. De la même façon que cette personne est morte, tu vas mourir toi aussi. Cela ne fait aucun doute. Quel que soit ton statut social et qui que tu sois. Quand ? Tu n’en as aucune idée. La vraie question est : « Es-tu prêt ? » Autour de toi il y a des gens qui affirment que tu n’as pas été créé en vain, que ta vie à un sens et qu’après elle un autre monde s’offrira à toi en fonction de ce que tu auras accompli ici. Plaisir, bonheur et félicité à un degré que tu es incapable d’imaginer, ou souffrance, amertume et difficulté dont tu n’as pas idée et que tu n’es pas en mesure de supporter, ne serait-ce que l’ombre d’un instant. Ce sera l’un ou l’autre et pour l’éternité. Voila ce qu'ils disent. As-tu déjà sérieusement réfléchi à la question ? Si non, étant donné qu’aucun d’entre nous ne connait le moment de sa mort, n’est-il pas temps pour toi de t'y mettre ? Ou bien tu préfères rester à l’image d'un bébé dans le ventre de sa mère, persuadé que la vie s’arrête ici et qu’il n’y a rien après l’accouchement ? Il est pourtant tellement loin de la vérité ce bébé. Et toi, sur quoi reposent tes prétendues certitudes ? Elles sont acquises par héritage et suivi aveugle ou ce sont de réelles et profondes convictions ? Toutes ces questions traversaient mon esprit. J’entendais parler de l’Islam, je croyais en un Créateur et les autres religions ne m’avaient pas convaincu. De là à faire le pas, il ne manquait pas grand-chose.

- Quelles-ont étés les grandes lignes de ton cheminement ?

La période où j’ai sérieusement commencé à m’intéresser à l'Islam se situe entre les années 1997 et 2000. Avec le temps, j'avais atteint une certaine « maturité » que je n'avais pas à mes débuts. Le fait de voyager, de rencontrer du monde, d'écrire, de chercher à exprimer ce qui est au fond de toi, de témoigner de ce que tu as vu et vécu, l'envie de communiquer, d'écouter les autres, de te battre pour tes idées, contre les clichés, d'agir, de prendre ton destin en main, etc. Toutes ces choses, si tu as un minimum de souci d'intégrité, te font beaucoup cogiter. Tu te retrouves souvent face à toi-même, tes intentions, tes objectifs et les moyens que tu te donnes pour les atteindre. En même temps j'aimais lire, chercher à comprendre, comparer les points de vues. Avec l'expérience, c'est un peu comme si j'avais réussi à faire mon petit bilan de la société dans laquelle nous évoluions. Ses points forts, ses faiblesses, ses maladies, ses excès. Comme beaucoup d’entre nous, je savais que la crise économique n'existait pas. Du moins, qu’elle n’avait rien d’une crise. Que la réelle mixité sociale, j’entends par là pour qui n’était pas prêt à jouer le noir ou l’arabe de service, n'existait qu’au bas de l’échelle, dans le R.E.R bondé du matin, celui du soir, les tâches subalternes après les usines déshumanisantes et autres délices réservés aux gens du peuple. Tandis que les exceptions - car on ne pouvait nier qu’elles existaient - ne faisaient que confirmer la règle précédemment énoncée. Que le racisme était partout. À des degrés différents, certes, mais chez à peu près tout le monde. Même si l’on entendait prétexter ci et là qu’il avait été provoqué par des raisons distinctes, le résultat n’en restait pas moins tristement le même. Qu'entretenir la peur ou la haine de l'autre, quel qu'il soit, faisait le jeu d'une poignée de manipulateurs. Que des élus corrompus ne pouvaient être facteurs d'unité sociale, que l'individualisme et la course aux richesses nous tuaient. J'avais vu de mes propres yeux comment la société de consommation dévorait les petites gens, « offerte » qu’elle était - et sans contrepartie apparente - par des vendeurs de rêve très à cheval sur des principes qu’ils n’avaient et n’ont toujours pas. Dettes, crédits, impayés, huissiers, procès, saisies. Parcours infernal de l’ouvrier moyen, quelle que soit sa couleur, dans une société malade ou licencier des pères de famille fait monter les actions en bourse. De là, beaucoup d’entre nous ne voulaient pas de la vie qu’on nous « offrait ». A quoi bon vivre honnêtement dans un système qui ne semblait sourire qu’à la pourriture du monde ? Au nom de quoi ne pas se servir ? Qu’avions-nous réellement à perdre ? Quoi faire ? Où était l’alternative ? Marcher droit faisait de toi une victime. Utiliser la machine à ton avantage faisait de toi un tordu sans principes. La prison attendait les hors-la loi. Enfin, ceux du peuple. Le système mettait les insoumis en marge, tandis que ceux qu'il n'arrivait pas à anesthésier par un vice ou une passion quelconque, il les mettait hors d'état de nuire d’une façon ou d’une autre. Voilà, à peu de choses près, les options de vies qui nous étaient proposées. Après le bilan, c’est l’impasse. Tu te retrouves devant un système que tu sais parfaitement bancal, générateur d’injustice à tous les niveaux de la société. Chacun voulant tirer la couverture de son côté. Même lorsque celle-ci n’est plus qu’une vieille serpillière miteuse, elle se retrouve disputée, sans pitié aucune, les longues et froides nuits d’hiver des bas-fonds de Paris. Toute une liste de maladies, mais pas de remède. Et toujours cette soif de justice. J'étais à ce stade de mon expérience lorsque j'ai commencé à poser les yeux sur les textes de l'Islam.

Voilà, à peu de choses près, les options de vies qui nous étaient proposées. Après le bilan, c’est l’impasse.

– Quels étaient ces premiers textes de l'Islam ? Y’a-t-il quelque chose de particulier qui t’ait marqué à ce sujet ?

Les deux premiers livres que j’ai lus au sujet de l’Islam sont : « Les jardins des vertueux » de l’Imâm An-Nawawî ainsi qu’un second ouvrage concernant la croyance, la jurisprudence et le bon comportement dans cette religion. On me les avait offerts. Ce qui m’a marqué en les lisant, c’est de découvrir à quel point l’Islam était un système complet qui embrasse tous les aspects de la vie humaine. Il tient compte de l’état de l’individu, le fait que celui-ci ait des besoins ainsi que des aspirations. Il lui explique clairement le sens de la vie, d’où il vient et où il va d’une façon très accessible, cohérente et sans tortuosités. De là, il lui indique le chemin permettant non seulement de réformer sa personne mais aussi, à plus grande échelle, de réguler la vie sociale avec justice et équité. Il est spiritualité mais ne demande pas à ses adeptes de nier leur nature humaine, de vivre sans se marier, par exemple, en jeûnant continuellement ou retirés du monde. Il est vie sociale mais invite ses adeptes à la sincérité, à fuir l’ostentation, l’individualisme, la tricherie, la corruption et à œuvrer dans l’intérêt du plus grand nombre ; qu’ils soient en public ou en privé. Il rappelle à l’homme qui s’enorgueillit de quel genre de liquide il a été créé et à celui qui baisse trop la tête qu’il est la plus noble des  créatures à la surface de la terre, chargé d’une mission qu’il doit s’efforcer d’accomplir, dans les limites de ses capacités. C’est un rapport avec ton Créateur, une spiritualité active ayant un impact sur toi-même, ton comportement avec ta famille, tes voisins, tes proches et le reste du monde. En fait, pour ne pas faire trop long, disons que dès que j’ai commencé à parcourir les textes de l’Islam, j’y ai trouvé la paix du cœur. Non seulement j’avais la réponse au pourquoi de ma présence sur terre. Mais, en plus, s’offrait à moi un système complet permettant d’éradiquer les maladies que l’expérience m’avait permis de diagnostiquer sans pour autant me permettre de leur trouver un remède.

– Combien de temps as-tu pris pour valider ton choix ?

Je ne sais pas. J'ai l'impression que mon cheminement a débuté le jour où j'ai commencé à écrire. Ou plutôt, le jour où j'ai compris que les mots avaient une valeur, un sens. Qu'on ne pouvait pas se dédouaner de la somme de ce que l'on véhicule sous le prétexte d'être un « artiste ». Qu'avant d'être « artiste » ou quoi que ce soit d'autre, tu es un être-humain avec des responsabilités. Qu’à la surface de la terre, il y a des forces et des idéologies qui s'affrontent. Et que tu fasses semblant de ne pas les voir sous prétexte que ça te « saoule » ou que tu « n’y comprends rien », ne fera jamais de toi un innocent. J’ai pris le rap très au sérieux. Trop même. Ça prenait tout mon temps. Toute ma vie. Mais paradoxalement, je ne ressentais pas ce vide spirituel dont parlent beaucoup de frères et sœurs convertis lorsqu’ils décrivent leur vie avant l’Islam. C’est peut-être dû au fait qu’à partir du moment où j’ai quitté le crédo nombriliste de l’égo-trip, j’étais impliqué corps et âme dans ce que je faisais. Nous avions un combat. A notre échelle, tout avait un sens. Nos relations avec le public, le contenu de nos textes, nos vies en dehors de la lumière des projecteurs. Tout était lié. Même si, bien évidement, chacun d’entre nous avait ses faiblesses et ses écarts de comportement, nous nous efforcions d’être cohérents. A ce sujet, je me souviens avoir parlé de ma façon de voir la notion d’intégrité du point de vue de l’écriture en général et du monde du rap en particulier avec une connaissance à l’époque et qu’il m’a répondu : « Mais c’est l’Islam ce que tu prêches ! ». Or, je n’étais pas musulman à ce moment-là. J’étais à fond dans le rap mais je défendais des valeurs auxquelles je croyais dur comme fer. J’aspirais à des valeurs universelles comme la justice, la fraternité, l’égalité des droits, la solidarité, le fait d’aider les faibles, etc. Et, comme j’évoluais dans le monde du hip-hop, c’est en son sein que je défendais ces valeurs. Au début, je croyais même qu’elles en faisaient partie.


En fait, plus ce à quoi j’aspirais se faisait précis, plus je me rendais compte que le monde du rap ne pouvait me permettre d’y accéder ; pas plus que moi je ne serai, par son intermédiaire, en mesure de l’apporter à qui que ce soit. C’est pour ça que, vers la fin de ma carrière, quand on me demandait ce que je pensais de la tournure que prenait le rap, je répondais que le rap n’était pas une religion. J’entendais par là que le rap, c’est un moyen d’expression, sans plus. Et certainement pas une idéologie. Au micro, chacun défend son point de vue et il ne s’agit en aucun cas d’une cause commune. Ce n’est pas non plus une croyance qui impliquerait un mode de vie particulier visant à un changement quelconque. Même si certains individus en son sein ont ce genre d’aspiration, ce n’est pas ça le rap. Certains diront qu’il y a différentes catégories de rap, qu’il ne faut pas mélanger. La réalité, c’est qu’il y a différentes catégories d’individus et que le rap n’est qu’un moyen par le biais duquel ceux-ci exposent ce en quoi ils croient. C’est un moyen d’expression et qui reflète à merveille ce que contiennent les cœurs de ceux qui s’y adonnent. Rien d’autre. Quand au hip-hop en tant que projet sociétal, je ne sais pas comment ils ont réussi à nous faire avaler cette pilule. Mais on l’a bien avalée. Moi le premier…

– Et c’est après ce triste constat que tu as fais le pas ?

Je n'ai pas toujours eu ce rapport avec l'écriture, le monde de la musique et le monde en général. C'est un cheminement qui s'est fait peu à peu. Mais toujours dans le même sens. Mon cheminement dans le monde du rap m'a permis d'arriver à toutes ces conclusions. Beaucoup de remises en questions, pas mal de solitude, mais jamais de désespoir. Simplement, arrivé à ce stade, faire un cinquième album n’avait pas de sens pour moi. J’avais fait le tour de la machine, témoigné de tout ce qui était de mon ressort et je n’avais pas de solution miracle à proposer. A quoi bon continuer ? L’amour de la gloire ? Du strass et des paillettes ? De s’écouter parler ? A quoi bon changer la formule et le style si c’est pour dénoncer les mêmes choses ? Garder ta place ? Continuer de vendre des CD et gagner de l’argent ? Mais si tu sens au final que ce ne sont ni l’argent ni la notoriété qui font vibrer ton cœur, et que ce que tu recherches se trouve ailleurs. Quel intérêt de poursuivre ? La première fois que j'ai complété une lecture du Coran, j'étais seul chez moi, rue Léon, à Barbès. Je ne me souviens plus exactement comment ça s'est passé, ça fait plus de douze ans maintenant, mais je sais que j'ai accepté l'Islam à ce moment. J'ai prononcé « l'attestation de foi » [2] que j'ai lue en arabe phonétique sur un polycopié que j’avais chez moi avec quelques livres. Et, depuis ce jour là, je me suis considéré musulman. Même si personne n'en savait rien. Y compris les gens les plus proches de moi.


  L'attestation de foi en Islam : J'atteste qu'il n'est de divinité [digne d'être adorée]
Excepté Allah, et j'atteste que Mouhammad est est le Messager d'Allah. [2]


Quelques temps après, conscient que cette attestation avait des implications que j’ignorais, j'ai ressenti le besoin d'aller plus loin. A l'époque, il n'y avait pratiquement rien pour apprendre. Les livres en français étaient rares, traduits approximativement et, lorsque je posais des questions sur l'Islam autour de moi, personne n’était en mesure de m'apporter de réponses. J'ai donc cherché des cours en français. Après avoir trouvé une mosquée où des cours d'introduction à l'Islam étaient donnés le dimanche matin, j'ai décidé d'aller y faire un tour. Le prédicateur responsable de ce cercle avait un discours franc et incisif qui m'a plu. A la fin du cours, il a demandé si quelqu’un dans la salle souhaitait embrasser l’Islam. Je me suis levé en levant la main et j’ai dit « Moi ! ». Il a répondu : « Voici quelqu’un qui a l’air décidé ! ». J’ai le sourire en y pensant. C’est vrai que j’étais décidé. A vrai dire, ca faisait longtemps que j’attendais ce moment. A cette époque, mes clips passaient en forte rotation à la télévision [3]. Mais je me disais qu’en cet endroit précis, je ne risquais pas d’être reconnu. Je me suis avancé pour prononcer l’attestation de foi devant l’auditoire et, peu de temps après, un frère s’est proposé pour m’apprendre à faire les ablutions et la prière. Après le cours, plusieurs frères sont venus me voir. Sans cacher, pour la plus grande partie d’entre eux, qu’ils savaient très bien qui j’étais. Certains m’ont félicité, d’autres m’ont souhaité la bienvenue, m’ont encouragé à persévérer et à revenir. Plusieurs sont devenus des amis que je n’ai cessé d’aimer et de fréquenter jusqu’à aujourd’hui. La fraternité en Islam a un goût particulier. C’était comme le début d’une nouvelle vie. Le prédicateur avait annoncé : « Celui qui devient musulman, c’est comme s’il venait de naître ! Il est affranchi de tout ce qu’il a pu faire de mal au préalable. Et toutes ses mauvaises actions sont transformées en bonnes actions. C’est un nouveau départ pour notre frère. Sache qu’en ce moment précis, tu as une place particulière auprès de Ton Créateur. Tu es pur comme au jour de ta naissance ! Profites-en pour L’invoquer et Lui demander ce que tu souhaites. Veille à apprendre ta religion et à ne pas alourdir ta balance de choses qui Lui déplaisent…». J’ai suivi son conseil du mieux que j’ai pu.  A vrai dire, j’ai aussi suivi ses cours jusqu’à la veille de mon départ au Canada. Assidument. J’avais très envie d’apprendre et je me sentais bien dans cette nouvelle famille. C’était mes premiers pas aux côtés de mes frères et sœurs en Islam.

 (Lire la suite  : Partie 3/6 - Premiers pas)





[1] Il est fait allusion ici, tout comme dans la première partie de l’interview, à l'article répondant à la question : « Comment un être doté de raison peut-il encore croire en Dieu à notre époque ? »
[2] C’est la formule par le biais de laquelle on entre en Islam et qui se compose de deux parties. La première ou l’on atteste que rien ni personne n’est digne d’être adoré en dehors du Créateur. La seconde où l’on reconnait que le cycle de la prophétie dont ont fait partie, entre autres, les prophètes Moïse et Jésus est vrai et qu’il a été parachevé par la venue du prophète Muhammad. Quiconque prononce sincèrement cette attestation, en comprenant ce qu’elle signifie, en y croyant, en acceptant ce qu’elle implique, décidé à s’efforcer de vivre selon ses préceptes, de tout cœur et en étant véridique devient musulman. De là, s’en suivent des droits et des devoirs à respecter pour conserver ce statut. Car, de même que cette attestation à des conditions pour être valable, certaines choses l’annulent. Ainsi, afin d’être en mesure de les éviter, il ne faut pas négliger le fait de les apprendre.
[3] Internet n’en était qu’à ses balbutiements…