mardi 6 février 2018

Interview 2014 (Partie 3/6) - Premiers pas


– Qu’as-tu ressenti dès les premiers temps de ton entrée en Islam ? [1] 

Une intense sensation de bien-être intérieur. Elle était fortement liée à tout ce que nous avons déjà évoqué, mais aussi due au fait de pouvoir appréhender la vie et son sens avec une nouvelle grille de lecture. Quoi qu'en disent les vendeurs de lampes, l'Islam est et restera la religion de la cohérence. Avec les informations qu'elle t'apporte, de nombreuses zones d'ombre relatives à ton existence s'éclaircissent. Les questions auxquelles tu n'avais pas obtenu de réponse jusqu'alors, les épreuves que tu as eu à surmonter, tout prend place dans un ensemble clair et équilibré. Cette sensation de paix, on ne la trouve ni dans l'alcool, ni dans la drogue, ni dans les antidépresseurs ou le divertissement à outrance, pas plus qu'on ne la trouve - d'une manière durable j'entends - en montant le son à fond au point de ne plus s'entendre avoir besoin de réfléchir au calme, elle n'existe nulle part ailleurs. Pour quiconque prend le temps d'observer le monde qui l’entoure, qu'il s'attarde sur la terre, la mer, le ciel, les plantes, les animaux ou les êtres-humains, ce qui s'apparente de loin à un chaos total s'avère être encore mieux réglé qu'une montre suisse. Le fait d'intégrer ce système harmonieux, tout en y saisissant ta place et ton rôle, c'est te laisser aller enfin à suivre le cours de la rivière après avoir passé des années à t'y débattre à contre-courant. Tu souffles, tu te sens bien, c'est là. Ce que procure réellement le fait de poser son front sur le sol avec le cœur en paix ne s'exprime que très partiellement, même à travers une image, et aussi belle soit elle. Bien évidemment, à côté de cela, la vie n'en devient pas pour autant un long fleuve tranquille. A cette sensation de bien-être, viennent s'ajouter des tas de nouvelles questions : les ablutions, la prière, quand et comment les accomplir ? Pour commencer. Puis, très rapidement, c'est au tour des interrogations concernant tes habitudes, ton environnement, ta nourriture, tes relations sociales. En fait, l'Islam englobant tous les aspects de la vie, tu te retrouves facilement à te questionner sur tes moindres faits et gestes.

– Qu’as-tu entrepris en premier suite à ta conversion ?
J'ai cherché à vivre en cohérence avec mes convictions. Et tous ceux qui ont fait le pas pourront témoigner de ce qui suit : aussi chère soit elle à tes yeux, il n'est pas une action, une activité, une passion ou une fréquentation que tu délaisses en vue de te conformer à ce que tes croyances impliquent, sans qu'il ne te soit accordé meilleure et plus profitable qu'elle. Il faut juste se lancer. Pour ma part, tout a été facilité. Déjà, je souhaitais arrêter la musique depuis bien avant ma conversion, dans la période qui a suivi mon troisième album pour être exact. A cette époque, ce n'était pas pour des raisons religieuses. Ce n'était pas non plus, comme j'ai pu le lire quelques fois, dû à un manque de reconnaissance ou de succès. Car même si nous n'étions pas souvent mis sur le devant de la scène médiatique, en raison notamment des propos critiques que nous tenions à de nombreux sujets, notre succès d'estime se mesurait sur le terrain. Et nous y étions assez sollicités pour continuer d'en vivre. Modestement certes, mais selon l’éthique que nous défendions. C’était l’essentiel. En fait, c'est uniquement parce que deux de mes proches de l'époque m'ont demandé de ne pas arrêter à ce moment-là que j'ai continué. L'échéance a été repoussée le temps d'un nouveau cd, mais l'intention de mettre fin à ma courte carrière était déjà présente. 
Quelques  jours  avant  ma conversion « officielle »,
nous venions de sortir des studios d'enregistrement
et  mon  quatrième  album  partait  à  la  fabrication.

Quelques jours avant ma conversion « officielle », nous venions de sortir des studios d'enregistrement et mon quatrième album - La rage de dire - partait à la fabrication. Nous étions en train d'en préparer la campagne promotionnelle. Mieux (ou pire) que ça, financièrement parlant, j'étais en fin de contrat. Aussi bien du point de vue de la maison d'édition que de celui de la maison de disque qui me produisait. Ce qui signifie, je précise pour ceux des lecteurs qui ne sont pas au courant des pratiques de ce milieu d'escrocs, que j'en étais à ce que l'on peut appeler un moment clé de la carrière d'un artiste. Un moment où l'on peut te proposer une somme conséquente d'argent en fonction des choix que tu fais et des accords que tu signes. C'est l’une des épreuves de ceux qui se retrouvent dans ce genre de situation. D'un point de vue matériel, tu as l’impression de sauter sans filet. D'un point de vue personnel, tu replonges dans l'anonymat. Or, l'amour de l'argent et de la renommée sont deux facteurs qui empêchent beaucoup de gens en place de délaisser le monde de la musique. Parmi eux, certains musulmans connaissent très bien la position de la grande majorité des savants de l’Islam à son sujet. Mais vu que beaucoup de ceux qui les entourent souhaitent secrètement vivre (ou continuer de profiter de…) ce qu'ils prétendent espérer pouvoir délaisser un jour, très peu nombreux sont les gens qui les encouragent à le faire. D’où l'importance, pour celui ou celle qui souhaite se mettre bien dans l'Islam, de changer d'environnement et de fréquentations s’ils sont en contradiction avec ses idéaux. Ne serait-ce que le temps de se renforcer. Cela ne signifie pas renier tes amis ou te croire meilleur qu'eux. Simplement, tu ne peux pas changer tes habitudes en restant avec ceux qui en font partie. C'est une décision douloureuse car elle te pousse à t'écarter de ceux que tu aimes. Mais il faut la prendre. A moins que vous ne décidiez tous, et au même moment, d'en faire autant. Et je ne peux pas nier que, parmi les choses qui m'ont aidé à m'écarter complètement du monde de la musique, hormis que j'en étais déjà relativement détaché, il y a le fait que je me coupe complètement de l'environnement dans lequel j'évoluais. De plus, ma conversion suscitant en moi de nombreuses questions concernant la vie de tous les jours, j'avais envie de me poser pour apprendre ma religion et réfléchir à tout ça.

On entend souvent parler du « zèle » des convertis quand il s'agit des études religieuses. Qu'en penses-tu ?
Parler de convertis sans tomber dans les clichés et les malentendus est assez délicat. Donc, dans le cadre de cet échange, nous entendrons par converti : « Toute personne issue d'une famille non musulmane et qui décide, par conviction, d'accepter l'Islam comme croyance et mode de vie ». A mon sens, et au-delà de cette acception du terme, il n'y a pas de converti « type ». Nos origines, l'éducation reçue, nos parcours respectifs, les milieux dans lesquels nous avons évolué avant l'Islam, notre cheminement spirituel et tout un tas d'autres facteurs qui entrent en jeu font qu'il est difficile de parler des convertis comme d'un ensemble monolithique. Je vais essayer de soulever quelques points qui me semblent importants à ce sujet en évoquant mon expérience personnelle, différents profils que j'ai eu l'occasion de rencontrer, ou de fréquenter. Mais il est évident que le sujet est bien plus vaste que ce que je saurais pointer du doigt.[2] De là, et pour revenir à la question initiale, je ne crois pas que les convertis soient de plus fervents étudiants que les autres. Simplement, au moment où l'on entre en Islam, ce qui peut éventuellement nous différencier de ceux ayant grandi dans une famille musulmane, c'est que nous n'avons aucun doute sur la faiblesse de notre bagage religieux. Et comme connaître son ignorance c'est déjà un grand pas de fait sur la route du savoir, beaucoup d'entre nous hésitent moins avant de s'engager dans l'apprentissage. C'est ressenti comme quelque chose de vital. En même temps, ceux qui ne sont pas convertis et reviennent à l'Islam après quelques années d'absence ou une adolescence loin de ses préceptes me semblent ressentir à peu près les mêmes besoins que nous. Même la particularité d'avoir une famille non-musulmane et le souci que suscite chez elle le fait de nous découvrir « tout à coup » religieux, n'est pas si éloignée de ce qu'ont à surmonter les frères et sœurs dont les parents se disent musulmans « non-pratiquants » ou revendiquent une pratique que certains qualifieront de légère. Parfois, c'est même encore plus difficile pour eux. Combien de nos sœurs, pourtant issues de familles musulmanes, rencontrent des difficultés lorsqu'elles se mettent à pratiquer leur religion sérieusement et décident, par exemple, de porter le foulard et de se vêtir de manière à ce que le regard des hommes ne se pose plus sur leurs corps ? De nos jours, beaucoup de valeurs sont inversées. Nous traversons une époque complexe où la plupart des généralités n'ont pas grand sens. En son sein, les histoires s'enchevêtrent, interagissent. Et même si les profils sont différents, bien souvent, les blessures se ressemblent. Celui qui pose son regard du point de vue de l'imam au moment de la prière du vendredi dans une mosquée de France a vite fait de saisir, par le biais de ce que renvoient les visages des fidèles, une mosaïque de parcours qui témoignent de ce fait.


Personne issue d'une famille non musulmane et qui décide, par conviction, d'accepter l'Islam comme croyance et mode de vie
- As-tu des choses à ajouter au sujet des convertis ?

Déjà, que ce n'est pas un statut social censé nous définir éternellement. Une fois que tu es convaincu et que tu acceptes l'Islam, tu deviens un musulman parmi les autres. Avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Certainement, tu as un parcours qui t'est propre ainsi que des particularités. Mais c'est le cas pour chaque être humain à la surface de cette planète, pas une caractéristique propre à celui ou celle qui devient musulman(e) en France. La question de l'identité du converti est très pointue. La question de l'identité en général aussi d'ailleurs. D’où toutes les crispations que l'on retrouve autour de celles-ci. Du croisement des cultures à l'affirmation de soi et au respect de l'autre, en passant par le fait de s'enrichir de la différence sans en arriver à l'aliénation de celui qui va jusqu'à s'en oublier lui-même, les limites sont subtiles. Et quel que soit le point de vue d'où l'on regarde la scène, le scénario se vérifie. Car à l'époque où certains aiment à prétendre que le monde est devenu un village, peu de ses habitants savent réellement qui ils sont et d’où ils viennent. Et ne parlons même pas d’où ils vont. Ajoute à cela l'ignorance généralisée des préceptes de l'Islam et de ses objectifs, les amalgames entre religion et culture, la désinformation médiatique à outrance et les plaies de l'histoire encore toutes fraîches. C'est difficile de te retrouver entier à la fin de l'état des lieux. En réalité, même si l'on en parle parce que c'est le sujet, que tu sois converti ou pas ne change pas grand-chose à la problématique des identités qui ont du mal à trouver leurs repères. Le racisme, lui, trouve aussi bien sa place dans le fantasme que dans l'appréhension. Quoi qu'il en soit, en tant que musulman, c'est par tes croyances que tu définis ton rapport aux autres. Si tes croyances sont correctes, ton comportement suivra. Peu importe l'origine et la couleur de celui ou celle à qui tu as affaire. Et même si tu as des manquements dans tes relations avec les autres, plus tu feras des efforts pour être en accord avec les principes de l'Islam, plus tu seras un bien pour les gens qui t'entourent. Et le racisme ne fait pas partie de ses préceptes.
- Le racisme au sein de notre communauté n'en reste pas moins une réalité palpable. Non ?

L'Islam est  innocent  du  comportement des racistes qui
 s'en revendiquent... Les textes sont nombreux à ce sujet. 
La peur de l'inconnu est un réflexe humain. Mais cette peur doit être surmontée et régulée par des valeurs qui la contiennent. Tu peux trouver des musulmans racistes, sans trop de difficulté d'ailleurs. Il n'empêche que c'est la communauté où tu en trouveras le moins.  Et l'orgueil n'étant pas l'apanage d'un peuple en particulier, tu en trouveras aussi bien parmi les musulmans arabes, que parmi les musulmans blancs, noirs ou asiatiques. Ce qu'il ne faut pas oublier de souligner ici, c'est que l'Islam est innocent du comportement des racistes qui s'en revendiquent. Car ce racisme dont ils font preuve et ces peurs qu'ils n'arrivent pas à surmonter vont à l'opposé des principes auxquels ils sont censés se soumettre. Les textes sont nombreux à ce sujet. Le problème ne vient donc pas d'une absence de législation concernant le racisme et la façon dont les textes en Islam se désavouent de lui et de ses adeptes. C'est plutôt notre négligence à l’égard des références musulmanes en général qui doit être mise en cause et attirer notre attention. Et ceci est valable face aux différentes problématiques de la vie qui se présentent à nous. Chaque fois que le musulman s’éloigne de ses références, que ce soit par ignorance, aliénation ou négligence, il en sort avili. De plus, en agissant ainsi, il cache au reste du monde la beauté du message dont il est censé être l’ambassadeur. Bref, pour en revenir au sujet des convertis, et face à cette complexité des identités dont nous parlions plus tôt, essayer d’oublier qui tu es et d’où tu viens n'a pas lieu d'être. L'Islam ne te demande pas de renier tes origines, de ne plus être normand, corrézien, breton, dionysien, créole ou savoyard pour devenir, par on ne sait quel effort hors du commun, turc, maghrébin, indien, yéménite, égyptien ou saoudien. L'Islam te demande d'adorer un Dieu Unique, Celui qui t'a créé, sans Lui associer qui ou quoi que ce soit, et de ne délaisser de ta culture que ce qui pourrait être un obstacle à ce culte exclusif. Pas de devenir schizophrène. Pour bien comprendre ce genre de chose, à nous de revenir aux sources, de nous imprégner des valeurs réelles de l’Islam et de la compréhension des textes qui a fait de ses premiers adeptes des modèles sans précédent pour l’humanité. De cette façon, l’individu musulman peut s’épanouir en se détachant des pratiques qui nuisent à sa propre personne ainsi qu’aux autres tout en tirant profit des particularités qui sont les siennes et en étant un bien effectif pour sa communauté. Il faut donc s’efforcer d’être entourés de gens fiables, attachés à leur religion et ayant les compétences nécessaires pour nous indiquer le juste milieu qui la caractérise. De là, on peut espérer éviter les excès. Aussi bien le rigorisme exacerbé que le laxisme. Parce que le second n’est pas moins dangereux que le premier. Et parce que les dérapages arrivent vite. Par exemple, si tu es converti, te réunir avec des frères aux profils proches du tiens en vue de vous entraider à surmonter certaines difficultés dues à votre parcours commun est une bonne chose. Aussi louable que nécessaire d'ailleurs. Car les nouveaux musulmans ont besoin de bons conseillers, qui comprennent les épreuves qu'ils traversent. Et ils se trouvent souvent confrontés à des problématiques qui demandent connaissance, réflexion, sagesse et sens des priorités. Et parce qu'il arrive aussi que l'on se sente seuls et démunis face à des situations qui nous dépassent. Ceux et celles qui connaissent la solitude du jour de l'aïd, lorsque presque tout le monde autour de toi te quitte pour retrouver sa famille, savent certainement de quoi je parle.[3] Cependant, il ne faut pas que ces réunions se transforment en un club privé qui coupe les convertis du reste de la communauté. Ce sont des questions au sujet desquelles les musulmans vivant dans des pays comme la France doivent se consulter. Tu ne peux pas reprocher à tes jeunes d’aller apprendre leur religion sur internet, avec les risques que cela comporte, alors qu’aucune structure digne de ce nom n’est disponible pour eux là où ils se trouvent et que, dans certaines mosquées, on en est encore à traduire ce qui est dit uniquement lorsqu’il s’agit de lever des fonds.

- Trouver sa place dans la communauté musulmane, est-ce une chose facile ?

La façon dont tu vas appréhender la vie en groupe est très liée à ta propre personnalité et à ton vécu. On peut t’aider à t’intégrer à un groupe, mais personne ne peut le faire à ta place. Dans un premier temps, il faut que tu en ressentes la nécessité. Et en cette époque du virtuel où les gens ont facilement cinq cent « amis » sur Facebook mais ne trouvent personne pour les aider à déménager, il est vital de bien saisir l’importance d’apprendre à vivre en communauté. Dans la vraie vie. Celle où les affinités ne s’arrêtent pas à un « + » ou un pouce vert et dont les avantages ne sont pas dissociables des inconvénients. La base de référence en Islam est que les musulmans sont des frères. Ils forment une communauté. Et quelles que soient les difficultés que tu puisses rencontrer avec certains des membres qui la constituent, cette famille reste ta famille. D’autant plus que, celle-ci, tu l’as choisie pour la noblesse de ses idéaux et que, de ce fait, tu as aussi des responsabilités à son égard. Aucun doute que pour rayonner comme elle le doit, notre communauté a besoin du savoir-faire et de l'expérience de chacun de ses membres. Etant donné que les convertis sont le fruit de leur contexte et qu'ils le maîtrisent généralement assez bien, il va de soi qu’eux aussi ont un rôle à y jouer. Et même si certains responsables associatifs un peu trop accrochés au pouvoir et ayant du mal à lâcher du lest ne l'acceptent que difficilement - lorsqu'ils veulent bien l'accepter - il est évident qu’il faut et qu’il y a de la place pour tout le monde. Cependant, apprendre à se connaître à et vivre ensemble malgré nos différences prend du temps. C'est en cours, mais ça demande de la patience. Et le musulman doit apprendre à patienter. Même si parfois c’est lourd et qu’il faut faire ses preuves. Car personne de censé ne te donnera de responsabilités importantes si tu es un nouveau. Converti ou pas, rien ne t’est dû en dehors de ton droit. Il faut donc s'efforcer de comprendre d’où nous parle notre interlocuteur et l’inviter à en faire de même. Ne pas juger trop vite. Nous chercher des excuses et des circonstances atténuantes dans le dialogue plutôt que des manquements impardonnables qui causent l’éloignement. On doit s'entraider dans le bien avec plus de zèle que d'autres ne s'entraident dans le mal, se conseiller mutuellement et accepter les critiques. Et lors de celles-ci, se rappeler du fait que « la douceur n’a jamais accompagné une chose sans l’embellir » [4] fait partie des enseignements de l’Islam. De plus, en cas de désaccord, nos sources sont là pour trancher. N’importe quel tordu peut détruire les efforts de plusieurs années en quelques secondes. Construire, cela demande beaucoup plus de compétences et de courage. C’est comme s’attarder sur ses propres défauts avant de se préoccuper de ceux des autres. Car oui, en effet, les défauts ne se trouvent pas uniquement chez les autres. Et employer la bonne méthodologie est primordial pour l'équilibre et la bonne évolution d’une communauté. Chacun sa place et sa fonction, sans oublier le dialogue et l'ouverture d'esprit. Cependant, insistons à nouveau sur le fait qu’être un médecin reconnu par ses pairs, un journaliste prolifique, un chercheur méticuleux, un historien appliqué, un orateur brillant, un scientifique de renom, être particulièrement vif et intelligent, avoir fait science-po où autres grandes écoles, ajouté au fait d’être musulman, ne fait pas de toi un commentateur du Coran, ni un mufti. Malgré les compétences qui sont les tiennes, ces caractéristiques en requièrent d’autres qui demandent des années d’efforts que tu n’as pas fournis. Chacun d'entre nous doit donc connaître et reconnaître ses limites, savoir dire « je ne sais pas » et passer le relais aux personnes compétentes dans le domaine qu'il ne maîtrise pas. La fausseté et la discorde s'installent facilement là où le savoir et le respect des gens de science n'ont pas leur place. Pas besoin d'aller chercher bien loin pour faire ce triste constat. Encore une fois, ce qui vient d'être dit ne concerne pas exclusivement les convertis. Mais étant donné que nous faisons partie intégrante de la communauté musulmane, cette question en recoupe de nombreuses autres.
- Il faudrait donc opter pour un juste milieu entre l'humilité excessive et la vanité ?


 Et  ne  marche  pas  sur  terre avec orgueil : jamais  tu  ne  sauras 
fendre la terre et  jamais tu n'atteindras la hauteur des montagnes.
[Coran : 17/37]
Rester humble est un signe de lucidité. Qui que tu sois. Parfois, les gens parlent peu, notamment les personnes âgées, mais le simple fait de croiser leurs regards laisse entrevoir un passé chargé d'émotions que peu d'entre nous auraient eu la force et le courage de supporter. Je me souviens d'un courrier que m'avait envoyé une lectrice des premiers articles de ce blog dans lesquels je relatais quelques éléments autobiographiques. Elle m'a encouragé dans ce sens et a souligné quelque chose de très important. Je ne me souviens plus des termes exacts qu’elle a employés mais elle disait, dans le sens : « Je crois que tout le monde a une histoire exceptionnelle. Simplement, tout le monde n'a pas [le luxe d'avoir] le recul nécessaire sur sa propre vie pour la saisir, ni forcément les mots qu'il faut pour la raconter ». J'ai trouvé cela très vrai. Car chacun d'entre nous à une histoire singulière. Pas seulement les extravertis ne craignant pas de s’affirmer en société. Chacun d’entre nous. C'est-à-dire aussi bien ceux qui viennent d'être cités que les gens timides, faibles ou réservés. Qui prend le temps d’écouter leurs histoires ? Jeune, vieux, homme, femme, d'ici ou d'ailleurs. Chacun a son parcours. Certains ont évolué dans l'Islam depuis leur plus tendre enfance, d'autres l'ont choisi en chemin et adopté comme croyance et mode de vie. C'est un choix qui n'est pas fait à la légère. Et les convertis eux aussi ont leur histoire. Cette histoire, ne serait-ce qu'en raison de ce qu'elle a engendré comme bouleversements dans les vies respectives de ceux et celles qui en sont les fruits, et qu'ils ont eu à assumer quel qu'en soit le prix, est respectable au même titre que l'histoire de chacun de leurs coreligionnaires. De plus, et sans pour autant s'en enorgueillir, il faut que chaque personne qui accepte l'Islam demeure fière de ce choix, ne serait-ce qu'en se rappelant qu'une grande partie des Compagnons du Prophète de l'Islam, notamment les premiers, ont accepté l'Islam à un âge avancé de leurs vies. Eux aussi se sont convertis. Ils étaient pratiquement tous arabes, certes, mais pas moins étrangers parmi les leurs. Et ce qu'ils ont eu à vivre d'épreuves, concernant la rupture avec leurs habitudes passées, les réactions de leurs familles face à leur nouvelle croyance et ce que ce choix impliquait de sacrifices au quotidien pour eux, sont autant de points communs avec ce qu'ont à vivre ceux qui, depuis lors et jusqu'à nos jours, choisissent de devenir musulmans.
- Un mot au sujet des personnalités converties à l'Islam ?
Oui, même si les deux points précédents couvrent un vaste domaine qui mériterait d'être détaillé et illustré par de nombreuses anecdotes, il est bien de conclure par un troisième point, qui me touche encore plus particulièrement d'ailleurs. Qu'un chanteur, un sportif de haut niveau, un acteur ou toute autre personne publique de renommée nationale ou internationale accepte l'Islam, c'est une bonne chose pour lui. S'il est sincère, c’est même la meilleure chose qui puisse lui arriver. En tous les cas c'est ce que nous croyons en tant que musulmans. Quant à cette religion, elle ne tire pas ses lettres de noblesse du fait qu'un tel ou une telle l'ait acceptée. Tu peux être touché du fait qu'une personne que tu apprécies entre en Islam, et sa personnalité peut-être telle qu'elle apporte effectivement un bien palpable à la communauté, mais n'en fais pas trop à son sujet. D'une part, c'est dangereux pour elle : sa pratique et sa spiritualité risquent d'être altérées par ton comportement excessif à son égard. Et d'autre part, c'est dangereux pour toi : si elle glisse, tu risques de la suivre ou de sombrer avec elle, fauché par la déception. Ensuite, voyons les choses telles qu'elles sont, ce n'est pas nous qui avons fait honneur à l'Islam et aux musulmans en acceptant cette religion. C'est plutôt nous qui avons été honorés par le fait d'être affiliés à elle et sa communauté. De ce fait, quiconque souhaite prendre des modèles, qu'il s'inspire de ceux au sujet de qui il n'a aucune chance de se tromper. Qu'il s'inspire de ceux qui sont morts parmi les premières générations de cette communauté, ou encore de ceux qui ont marqué le cours de son histoire depuis cette époque jusqu'à nos jours. Quant à tes contemporains, ceux que tu as vu jouer au foot ou entendu rapper des couplets que tu connais par cœur et que tu admires, qui t'a dit comment ils allaient finir ? Et si tu ne sais pas comment ils vont finir, pour quelle raison faudrait-il t'aventurer à les prendre comme exemples ? N'ayons pas peur de perdre notre « prestige » en éloignant les gens du culte de la personnalité.  Encore une fois, c'est valable pour les gens dont il est question ici, mais pour beaucoup d'autres encore, y compris - à un autre niveau - chez les étudiants et les prédicateurs. Où en sommes-nous des enseignements de l'Islam et de l'Unicité (« At-Tawḥîd ») auxquels nous invitons les autres, lorsque nous laissons les gens rêver à notre sujet et nous élever à des statuts que nous ne méritons pas ? Il faut dire aux frères et sœurs qui sont émus par la célébrité de certains ou par la conversion de certaines célébrités de descendre de leur nuage. Soyez émus avec modération. La route est longue pour tout le monde. Et soyez-le de tout cœur le jour où vous aurez appris que leur destination finale aura été la bonne. En attendant, le musulman à des références qui lui sont propres, des héros qui ont réellement existé et dont l'histoire n'attend qu'une traduction fidèle pour inspirer l'avenir. C'est leurs noms qui doivent faire vibrer le cœur de nos enfants. Et c'est à nous de transmettre la beauté et la grandeur de l'Islam aux nouvelles générations. L’Islam n’est pas un héritage à prendre à la légère, ni un patrimoine culturel à brader contre un titre de séjour, une place en politique ou une chaire de faculté ; ce n'est pas non plus un gage de crédibilité à placer entre deux punch-lines toutes autant malsaines que le support sur lequel elles sont mises en valeur. C’est évident pour quiconque connait bien sa religion. Mais aujourd’hui, force est de constater que la confusion s’est installée dans l’esprit des plus jeunes d’entre nous. Et que l’épidémie n’épargne pas non plus leurs aînés...



(À suivre…)



[1] Dans un souci de cohérence et d'équilibre entre les différents extraits de l'entretien, la partie 3/6 a été partiellement réécrite et restructurée. Les thèmes qui n'y figurent plus sont traités dans les passages postérieurs...

[2] Pour la simple et bonne raison que ma sensibilité n’est pas « La » sensibilité des convertis. Et que personne ne m’a élu pour parler en leur nom.
[3] J'ai quelques anecdotes concernant le jour de l'aïd que j'espère pouvoir partager avec vous à l'occasion.

[4] « La douceur n'a jamais accompagné une chose sans l'embellir et elle n'a jamais été ôtée d'une chose sans que celle-ci n'en soit enlaidie » est une parole authentiquement attribuée au Prophète de l'Islam [rapportée par Mouslim].

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