Avant de partir étudier la langue arabe au Caire en 2009, suite à un bref
premier séjour en 2008, je me suis rendu à la préfecture de la Seine
Saint-Denis (93) afin de m’y faire délivrer un permis international. Je prends
mon ticket, m’assoie et attends patiemment mon tour qui met du temps à arriver.
Quelques instants plus tard, mon numéro s’affiche ainsi que celui du guichet où
je dois présenter mon dossier. Une fois devant, je salue l’employé qui s’y
trouve et m’assoie après qu’il m’y ait gentiment invité.
-
Qu’est-ce qui vous amène monsieur ?
-
Je souhaite me faire délivrer un permis international.
-
Vous avez tous les papiers avec vous ?
- Oui. Je me suis renseigné auprès de l’un de
vos collègues au téléphone avant de venir
-
S’il vous plaît...
Je tends l’ensemble des documents à mon interlocuteur
qui, lorsqu’il tombe sur ma carte d’identité, prend un air perplexe. Il fait
des va-et-vient du regard entre celle-ci et mon visage, observe ma barbe,
hésite quelques secondes, puis finit par me demander :
- Je
peux me permettre de vous poser une question ?
- Je
vous en prie.
- Vous
êtes de quelle origine ?
- Mon
père vient des Antilles et ma mère était française, de « souche ».
J’avais cru reconnaître par ses traits et sa couleur
qu’il venait des Comores, j’ai donc naturellement ajouté :
-
Et vous, vous êtes Comorien ?
-
Ah non, pas du tout ! Dit-il. Je suis de la Guadeloupe.
-
En effet, ce n’est pas à côté !
-
Vous… (il hésite) Vous êtes… Comment dire… Musulman ?
-
Oui, tout à fait.
-
Mais… vous êtes français à la base !? Je veux dire (il cherche ses mots…)
-
Est-ce que je suis un converti ? C’est ça ?
-
Oui voilà, c’est ça ! Enfin, si ça ne vous dérange pas d’en parler.
- Non, non, aucun problème. On peut en parler.
Alors oui, effectivement, je suis devenu musulman il y a bientôt dix ans
maintenant.
-
Et, comment ça s’est passé ?
-
C’est un peu long à expliquer. Pour faire court, disons déjà que depuis enfant,
j’ai toujours cru en l’existence d’un Créateur. Ça me semblait logique, dans
l’ordre des choses, quelque chose d’évident. A vrai dire, avec le recul, je me
dis même que c’est celui qui prétend ne pas croire en Dieu qui devrait apporter
les preuves de ses allégations et non pas le croyant. Car finalement, c’est ne
pas croire en l’existence d’un Créateur qui est contraire à la raison humaine.
-
Pardon ?
-
Ce que je viens de dire n’est pas clair à quel niveau ?
- C’est très clair, simplement excusez-moi de
vous dire que ce n’est pas un discours courant.
-
J’entends bien. Cependant, cela n’en reste pas moins une évidence que chacun
d’entre nous porte en lui. Ne pas croire en un Créateur est contraire à la
raison humaine. Et cela ne fait aucun doute !
Mon interlocuteur s’accoude à son bureau, prend un air
très sérieux et me demande presque solennellement :
-
Ça ne te dérange pas si on se tutoie ?
-
Pas du tout, aucun problème.
-
Je peux te demander d’expliquer ce que tu affirmes ?
C’est une situation peu commune que de se retrouver à
la préfecture en train d’expliquer sa religion. D’autant plus que ce n’est pas
moi qui ai engagé la conversation sur le sujet et que la file d’attente pour
passer au guichet où je me trouve est loin d’être négligeable. Je demande
poliment :
-
As-tu le temps pour ce genre de discussion ici ? Sinon, si tu préfères, on
peut essayer de se voir plus tard pour parler de tout ça.
-
Non, vas-y ! Je m’occupe de ton dossier et je t’écoute en même
temps.
-
D’accord… Imagines que tu habites dans un petit pavillon. Ta chambre est au
premier étage et sa fenêtre donne sur un jardin.
-
Oui ????!
Il lève la tête vers moi ainsi que l’un de ses sourcils. L’air embarrassé.
Il ne dit rien de désobligeant, mais je sens bien que mon introduction lui
semble légèrement – et c’est le moins que l’on puisse dire –
« hors-sujet ».
-
Avant d’aller te coucher, tu jettes un œil par la fenêtre comme à ton
habitude. Le jardin est vide, calme, rien à signaler. Ok ?
-
Ok.
-
Quelques heures plus tard, à ton réveil, tu t’aperçois que la fenêtre est
complètement murée. Impossible pour toi de voir ce qui se passe à l’extérieur.
Quelle est ta réaction ?
-
Je me dis « Qu’est-ce que c’est que ça ? »
-
Non, tu sais très bien ce que c’est. C’est un
mur…
-
Ben… Alors, je me dis : « Qui a fait ça ? »
-
Est-ce qu’il te vient à l’esprit une seconde que ce mur se soit fait tout
seul ?
-
Non.
-
Penses-tu que les blocs de ciments qui jonchent le bord de ta fenêtre
aient atterri ici par le fruit du hasard ? Au gré du vent, de la pluie, du
sable et des cailloux qui les constituent ?
-
Non, évidemment !
-
Acceptes-tu l’idée que ces parpaings soient juste « là »,
sortis du néant ; qu’il n’y ait pas de question à se poser quant à leur
origine, leur place et qu’ils y sont parce qu’ils y sont et que c’est comme
ça !?
-
Ils n’y étaient pas la veille, ils viennent bien de quelque part ! Ils ne
sont tout de même pas tombés du ciel !
-
Merci. Permets-moi de te poser une autre petite question avant de
conclure, je sais que nous n’avons pas trop de temps…
-
Oui vas-y, je t’écoute.
-
Penses-tu qu’il soit plus difficile de murer une fenêtre ou de créer un
être humain ?
Il
sourit tellement la réponse lui semble évidente.
-
Réponds s’il te plaît, je veux juste m’assurer que nous sommes bien
d’accord.
-
Nous ne sommes pas en mesure de créer un être humain. Or, nous
construisons des murs tous les jours. La réponse est plus qu’évidente !
-
Oui, en effet. Mais alors pourquoi acceptes-tu concernant la création de
l’être humain ce qu’il te semble stupide d’accepter au sujet d’un simple
mur ?
-
C’est-à-dire ?
-
Tu n’acceptes pas l’idée qu’un mur sorte du néant, ni qu’il soit le fruit
du hasard ou présent sans raison. Comment peux-tu accepter cela pour l’homme
après avoir reconnu qu’il est beaucoup plus sophistiqué ?
Mon interlocuteur s’est levé en direction de la
photocopieuse, a dupliqué des documents puis a pris quelques instants avant de
revenir vers moi. Arrivé à mon niveau, j’ai constaté que son visage n’avait
plus l’air enjoué que j’avais remarqué au début de notre discussion. Il me
dit :
- Tu sais quoi ?
- Non.
-
Je n’avais jamais pensé à ça de cette façon. C’est la première fois que je vois
la question sous cet angle !
-
D'accord. Mais tu comprends maintenant pourquoi je t’ai affirmé plus tôt que
croire en un Créateur n’a rien d’opposé à la raison et que c’est, bien au
contraire, le fruit d’une raison saine ?
- Oui, tout à fait…
J’ai laissé mon numéro de téléphone à mon
interlocuteur ainsi que quelques adresses de sites internet qui pourraient lui
apporter, si tel était son désir, des informations plus précises au sujet de
notre discussion. Il m’a remis mon permis de conduire en me souhaitant
« bon voyage », je lui ai souhaité « bon courage », puis
nous nous sommes quittés sur une poignée de main chaleureuse.
* * *
On nous répète à longueur de journée et depuis notre
plus tendre enfance que la religion est l’ennemie jurée de la science, de la
raison et de la réflexion. On laisse penser à qui veut bien l’entendre, et aux
autres, que « croire en Dieu » serait un concept d’une autre époque
et que l’humanité a aujourd’hui dépassé ce genre d’absurdités qui
ne conviendraient qu’aux civilisations « arriérées ». Or, et c’est bien là
le comble, quiconque se laisse le temps de réfléchir à la question s’aperçoit qu’il
penche naturellement vers le contraire de ce qui semble « communément
admis ». Cette propagande redondante, habillée de slogans publicitaires
foudroyants d’individualisme, d’invitations à suivre ses passions, de belles
mélodies et autres « divertissements » salutaires au bien être des
téléspectateurs-consommateurs aurait-elle pour finalité de ne pas nous laisser
le temps de réfléchir ?
Ce
serait trop bête.
Non ?
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